Rébellion : N'Djamena à feu et à sang

Par Dieudonné Gaïbaï | Mutations
- 04-Feb-2008 - 08h30   52786                      
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Des cadavres gisent dans la rue, le président Deby replié au palais, les roquettes qui tombent du ciel, les balles fusent, les troupes françaises qui assurent la sécurité de leurs ressortissants, les rebelles qui tiennent une bonne partie de la ville, tel est le tableau que présentait hier la capitale tchadienne
C'est à bord d'une pirogue de fortune que nous avons rallié hier après-midi la berge qui mène au Palais Présidentiel de N'Djamena où Idriss Deby et ses lieutenants organisent la riposte contre les attaques des rebelles. Mahamat Zena, le piroguier, qui a pris son courage pour permettre la traversée est un pêcheur Tchadien qui dit avoir de nombreuses difficultés financières, depuis que les rebelles Tchadiens ont pris d'assaut la capitale. C'est donc pour tenir le coup que le pêcheur s'est mué en transporteur nous permettant d'atteindre la berge tchadienne distante de trente mètres. Mahamat Zena qui a déjà fait embarquer sa famille dit ne pas disposer d'argent et de ressources pour assurer la survie de ses deux femmes et douze enfants. A Djambalbare, les coups de canons tonnent, les cris des populations fusent de toutes parts, des hélicoptères de l'armée gouvernementale survolent la région et déversent de temps en temps des roquettes sur des positions rebelles. Ces derniers contrôlaient jusque là une partie de la capitale tchadienne. Les résidences situées dans le pourtour du palais présidentiel sont désertes. Les pans des murs ont été détruits, mais quelques téméraires sont là. Adam T., handicapé, la soixantaine affirme en arabe, " nous attendons que la situation se normalise. Je pense que le Président Deby va finalement reprendre le contrôle de la capitale. Parce qu'après deux jours de combats intenses, s'ils n'ont pas pu prendre le pouvoir, ce sera difficile pour eux. On a vu comment Hissein [Ndlr, Hissein Habré] et Deby ont pris le pouvoir " la conversation est perturbée par un hélicoptère de l'armée tchadienne qui vient de lancer une roquette. Juste le temps de s'abriter sur le pan d'un mur construit en terre battue. Aux confins du quartier Farcha situé à près de deux kilomètres du palais présidentiel, dans cette course à pied faite d'obstacle, c'est un militaire tchadien qui s'interpose. " Remettez-moi votre appareil numérique où je vous descends", lance t'il. Mahamat Zena qui nous sert de guide conseille d'obtempérer. Ce qui est fait après identification. " Vous allez voir le quartier, mais sans filmer", assure le militaire. Le détour dans ce quartier permet de se rendre compte que de nombreuses populations ont quitté la ville, des corps gisent à même le sol baignant dans le sang, des maisons sont détruites. Le militaire qui nous présente à ses camarades d'armes affirme que les " rebelles étaient présents dans ce quartier avant que l'armée régulière n'utilise ce matin (hier dimanche) ses hélicoptères. " L'optimisme est de mise chez ses militaires enturbannés, munis de kalachnikov, de véhicules de combats… Dégâts Mais il reste que de nombreux édifices publics ont été détruits, comme le confirment les militaires. Falmata Adam, une ménagère qui a traversé de nombreuses barrières rebelles et des forces gouvernementales, dit que " le " palais du 15 " construit par les Chinois et qui fait office d'hémicycle pour l'Assemblée Nationale a été saccagé par les rebelles qui tiennent encore ce côté-là de la ville. Au niveau du Carrefour 40, tout est détruit. Il y a aussi le palais de justice nouvellement construit et qui se situe dans la partie est de N'Djamena". D'autres sources indiquent que la résidence du Premier ministre a elle aussi été incendiée et pillée juste après les combats par les badauds qui ont accueilli dans le faste, a-t-on appris, l'entrée des rebelles à N'Djamena. Le siège de la Commission économique du bétail, de la viande et des ressources halieutiques pour la Cemac situé à Dembé a lui aussi été saccagé. La Radio et la télévision nationale Tchadienne n'ont pas encore été pris par l'un et l'autre camp. Même si les militaires que nous avons rencontré confient que la gardé républicaine a détruit la Radio Nationale Tchadienne au moment où elle repliait sur le palais présidentiel. Depuis l'arrêt des communications intervenu jeudi au soir, la ville de N'Djaména est coupée du reste du monde. Dja FM, FM Liberté, Rfi, Africa N°1 et les autres radios ont cessé d'émettre. Les opérateurs de téléphonie mobile Celtel et Tigo ont cessé eux aussi leurs activités. Seul les téléphones satellitaires et les opérateurs camerounais (Orange, Mtn et Camtel) dont les réseaux couvrent certains coins de la capitale tchadienne permettent encore de communiquer. Le siège du journal progouvernemental le Progrès (il appartient au secrétaire général du Mouvement Patriotique du salut et fait office de quotidien gouvernemental) a reçu la visite de quelques délinquants. Des machines et le matériel de fabrication du journal auraient été emportés. Selon quelques personnes qui étaient logés à " Aurora " un hôtel situé au cœur de N'Djamena, des institutions bancaires auraient été pillées. L'armée française est bien visible dans les rues de N'Djamena mais ne s'interpose pas entre les belligérants. La base militaire française s'est déployée pour "protéger les ressortissants français", confie un responsable de l'ambassade du Cameroun à N'Djamena. L'aéroport de la capitale tchadienne est sous contrôle français. Cet aéroport sert également de base à aux forces aériennes tchadiennes qui n'ont pas manqué hier d'apporter un soutien décisif aux troupes terrestres qui ont peu à peu repris le contrôle de la capitale alors que la situation semblait compromise. Alexandre Begue, leader du Rassemblement des forces démocratiques tchadiennes, qui a fait un aller retour à moto à Kousseri s'interroge " les rebelles sont mieux structurées que le 13 avril 2006. Mais Deby résiste, jusqu'à quand?" Deby A Djambalbare, siège du palais présidentiel, la témérité du Président Deby rassure les troupes qui sont venues en renfort de Bongor, Mondou et Abéché. Les soldats proches de Deby s'étonnent pour leur part des commentaires tendancieux des médias. " Le palais présidentiel n'a pas été encerclé. Nous nous sommes repliés quand on a perdu samedi au matin notre chef d'Etat major Daoud Soumahin. Ce repli tactique n'a pas cependant permis aux rebelles de prendre le contrôle de la ville. Même s'ils ont certes pris une partie de N'Djamena." Au moment où nous quittions N'Djamena à bord de notre embarcation de fortune, les rebelles contrôlaient une grande partie de la capitale tchadienne. L'intensité des combats dénote de la très bonne organisation des rebelles qui résistent même aux assauts aériens. Hier autour de treize heures, un hélicoptère tchadien a été bombardé par les rebelles, il a terminé sa course dans un buisson à la frontière tchado-camerounaise. Le pont de Chagoua point névralgique d'entrée dans la capitale est sous contrôle rebelle, idem pour la sortie par l'hôtel Kempeski. Le contrôle frontalier de Nguéli, à la frontière entre le Cameroun et le Tchad, est désert, abandonné par les éléments qui stationnaient ici. Des défections sont signalées dans plusieurs autres unités de l'armée tchadienne. Malgré tout, Idriss Deby semble avoir décidé de se battre jusqu'à la dernière seconde, refusant l'aide de la France qui se proposait de l'exfiltrer du palais présidentiel et du Tchad. Il se raconte que la maman du chef de l'Etat lui aurait demandé de ne pas quitter le palais, au risque de se ceindre d'un drap blanc. Traduction, il sera fait prisonnier. Ceci suffit-il à justifier le fait que le président tchadien ait décline l'offre de la France ? En attendant, le bilan s'alourdit à N'Djamena qui est à feu et à sang. Les populations sont meurtries. Quelques jeunes Camerounaises parties s'inscrire dans les lycées tchadiens dans la perspective du baccalauréat et qui ont regagné Kousseri hier soir avec leurs bagages indiquent qu' " il y a des morts en quantité. C'est pourquoi nous avons choisi de rentrer à pied. Les tirs de roquettes se multiplient. Il y a encore beaucoup de Camerounais là bas qui n'ont pas le courage de rentrer. " On signale également que les fournitures en eau et en électricité sont suspendues à N'djamena. Les installations de la Société tchadienne d'eau et d'électricité (Stee) ayant été prises d'assaut par les rebelles depuis vendredi dernier dans la soirée.




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