Certes on donne l'impression que la politique au Cameroun se fait sur des bases tribales, on parle alors aujourd'hui de pouvoir béti, où hier on ergotait sur le pouvoir nordiste. Mais de quel poids tribal se réclamerait par exemple un Cavaye Yegue Djibril quand on sait qu'il est moins soutenu par une légitimé politique que par des béquilles du régime?
Ceux qui planchent sur le tribalisme comme mode de gouvernance n'ont pas fini de se masturber la mémoire. Quand Pierre Flambeau Ngayap s'interrogeait dans «Cameroun: qui gouverne (..)?» L'Harmattan – Paris - 1983, il posait à haute voix une question bien embarrassante, car le mode de gouvernance au Cameroun participe d'une nébuleuse mystico-tribale dont les fils de l'écheveau sont impossible à démêler.
Le tribalisme comme mode de gouvernance? Il faudrait plutôt parler de népotisme ou de «ventrisme», car à y regarder de plus près, il y a plus une tribu du ventre qui gouverne qu'un conglomérat ethnique servant de vivier au régime.
Certes on donne l'impression que la politique au Cameroun se fait sur des bases tribales, on parle alors aujourd'hui de pouvoir béti, où hier on ergotait sur le pouvoir nordiste. Mais de quel poids tribal se réclamerait par exemple un Cavaye Yegue Djibril quand on sait qu'il est moins soutenu par une légitimé politique que par des béquilles du régime? Transplanter Jean Nkuete au comité central du parti au pouvoir contribuera-t-il à briser le glacis Bamoun de l'Ode, ou de relancer le Rdpc dans le pays bamiléké? A quoi cela aurait-il servi d'entourer le régime d'une ceinture béti (finances, économie, sécurité, défense etc.) si le grand sud est maintenu à l' écart du développement social et économique? Ateba Eyene a touché un bout du problème dans son livre sur le pays organisateur. Intitulé: «Les paradoxes du pays organisateur», ce livre met à nu le déséquilibre régional dans la répartition des postes administratifs sous Paul Biya au Cameroun. Des frères du village promus à divers postes de responsabilité dans l'administration publique, les sociétés d'Etat et autres ont-ils impulsé le développement de la région?
L'auteur a récapitulé département par département, le nombre de ministres et assimilés. Près de 22 ministres et plus de 300 ressortissants de la région natale de Paul Biya à des postes dans la haute administration centrale sous le renouveau. Comme le dit si bien son préfacier, Roger Tsafack, le Sud ne manque pas de moyens naturels et financiers. Dans une citation qu'il emprunte à Georges Ngango, Tsafack fait savoir le grand sud dispose de détenteurs de capital social au dessus de la moyenne, mais brille par «la carence» d'hommes et de femmes «capables et décidés à sortir leur pays du sous-développement».
Entre népotisme et tribalisme donc, les hommes politiques, les leaders d'opinion et les fameuses «élites», dans le Cameroun d'aujourd'hui excellent pour des résultats mièvres. Dans Tribalisme et problème national en Afrique: Le cas du Kamerun (Paris, L'Harmattan, 1989) sous le pseudonyme d'Elenga Mbuyinga, Moukoko Priso pense que Le tribalisme protéiforme qui s' est développé sous la forme d'hydre implacable comprend des comportements tribalistes au quotidien, comme les formes malignes de la gouvernance pensée comme l'art de donner tout le pouvoir dans un pays aux ressortissants d'une tribu qui considèrent l'accession d'un des leurs à la tête de l'Etat comme l'occasion, l'opportunité de «manger» à leur tour, selon toutes les guises possibles de la gourmandise économique et de la voracité politique. Dans cette union de la tribu et de l'économie politique du ventre, un mode d'être, de vivre, de penser et d'agir s'est développé avec vigueur, encouragé par les régimes successifs.
Selon l'Abbé Jean Benoît Nlend, de l'administration publique au milieu de l'emploi au Cameroun où on dénote, pour le déplorer, l'émergence des entreprises tribales, personne n'échappe au tribalisme et tout le monde le pratique d'une manière ou d'une autre. «Ce n'est pas une organisation, c'est plutôt une manière de penser et de faire qui accorde du crédit et des faveurs sur la base de sa tribu, en excluant toutes les autres. Il est mauvais parce qu'il entretient l'obscurantisme, le favoritisme et qu'il manque d'objectivité. C'est une grave erreur d'organiser la société à partir du critère tribal».
A qui profite enfin de compte cette mauvaise gouvernance qui consiste a tribaliser tous azimuts?
«Toute nomination est personnelle et individuelle: Elle ne profite qu'à la famille nucléaire de l'Elu, c'est-à-dire, à sa femme et à ses enfants, même pas aux neveux ou aux cousins. Il est faux de croire que les Brasseries appartiennent aux Bamiléké, la Sosucam aux Bassa, le Pad aux Douala. Il faut des décisions politiques pour déraciner les germes du tribalisme dans notre pays. Lorsqu'un individu met trop longtemps à la tête d'un poste, il finit par y mettre tout son village». Les résultats sont là, 50 ans après les indépendances, pour démontrer que la mauvaise gouvernance est aussi une question de gestion des ressources humaines...