Nécrologie: Vie et mort de T. Bella

Par Jules Romuald Nkonlak | Mutations
- 05-Nov-2004 - 08h30   63109                      
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Le célèbre homme d’affaires et ancien maire d’Obala a rendu l’âme mercredi soir à Yaoundé.
Théodore Bella: Rêve en noir pour Obala L'homme d'affaires et ancien maire est décédé hier dans la ville qu’il voulait voir ériger en département. Il y a au moins une chose qui, au lendemain du décès de Théodore Bella, n'a pas changé. Les populations de la ville de Yaoundé ont continué à lancer " T. Bella " à l'endroit des chauffeurs de taxis. Soit pour se rendre à leur travail, soit pour faire des courses. Il y a en effet toute une zone de la capitale que l'on désigne encore du nom de celui qui y fut l'un des plus grands propriétaires immobiliers. Une zone en plein centre urbain, à quelques encablures de l'hôtel de ville. Et où il y eut l'un des plus célèbres supermarchés du pays. A cet endroit, se dresse un immeuble assez imposant et qui le fut encore plus à sa construction. Le signe de la grandeur de l'homme qui s'est éteint autour de 23 h, dans la nuit de mercredi à jeudi. On peut encore lire sur l'une des ailes du bâtiment : " Laboratoire d'analyses médicales T. Bella ". Mais, il ne reste plus rien de la principale activité qui a fait la renommée de Théodore Bella : le supermarché Prisunic T. Bella. " Il a été le premier Camerounais à se lancer dans la grande distribution ", affirme son fils Armand Bella. C'est en effet en 1979 que Théodore Bella engage la construction de cet immeuble. En 1980, le supermarché Prisunic T. Bella y est ouvert et sera très vite l'un des plus fréquentés de la capitale. On parle et reparle des fameux escaliers roulants que plusieurs Camerounais voient alors pour la première fois. Mais une vingtaine d'années plus tard, l'immeuble T. Bella sera au coeur d'un conflit entre son propriétaire et la Société générale des banques du Cameroun (Sgbc). La banque portera en effet plainte contre l'homme d'affaires pour une créance de plus d'un milliard de F Cfa. Condamné en 1993 à payer la somme, T. Bella fera appel du jugement. Il sera annulé en 2001 par la cour suprême. Mais en avril 2002, l'affaire va de nouveau être au tribunal. A un moment, après la condamnation de l'homme d'affaires, il a même été question de vendre l'immeuble pour rembourser la créance. Mais il n'en sera rien. C'est d'ailleurs assis dans l'une de ses pièces, que Armand Bella évoque la vie de son père, en compagnie de quelques personnes qui sont venues lui témoigner leur soutien en ce moment de douleur. L'immeuble ne porte pas véritablement les traces du deuil. Il est même plus que jamais empli de la présence de son défunt propriétaire, dont on peut voir les photos dans certains bureaux. Mairie Mais c'est bien loin de là, à quelque 30 km de Yaoundé, que s'est éteint Théodore Bella. Après avoir travaillé pendant la journée du 03 novembre 2004, après avoir fait des courses, il s'est installé en fin de journée pour regarder la télévision. Et c'est là, dans son fauteuil, qu'il s'est endormi à jamais. Dans son domicile d'Obala. " Son Obala ", comme veut bien le préciser l'une des personnes qui a eu à le fréquenter. " Il ne pouvait rien faire sans parler d'Obala. On pouvait s'amuser avec tout, mais quand on touchait Obala, on l'avait touché ", poursuit-il pour montrer l'attachement du défunt à cette ville, dont il fut le 18e maire, de 1996 à 2002. Son arrivée à la tête de la commune sous les couleurs du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) a suscité d'énormes espoirs. T. Bella était en effet l'une des personnalités les plus connues du département de la Lékié, et sa renommée avait même franchi les frontières de celui-ci. Les espoirs des populations de la ville d'Obala, qui tardait à décoller, reposaient sur les actions du patriarche. " Quand quelqu'un avait un projet qui pouvait permettre à la ville d'Obala d'avancer, T. Bella était toujours prêt à l'aider. C'était un facilitateur de toutes les activités sociales qui concernaient Obala. " Pourtant, malgré tous les rêves qu'il caressait pour sa ville, malgré les travaux qu'il y a engagés, notamment au niveau du marché, il ne passera qu'un mandat à la tête de la commune et il ne réussira pas à passer le cap des primaires dans son parti à la veille des échéances électorales de 2002, vaincu par des jeunes loups. " Nous avions pensé qu'avec le passé qui est le sien, après son retrait de la scène pendant de nombreuses années, il aurait un regard plus neutre matérialisant ainsi sa proximité avec les populations. Sa longue expérience d'homme d'affaires, faisait également croire qu'il appliquerait des méthodes de gestion des hommes et des biens différente de celles de ses prédécesseurs. A l'heure du bilan, on peut en douter ", déclarait Nomo Atéba, un fils d'Obala, dans les colonnes du journal " Le Messager ". "Chéris cars " " Il avait l'habitude de dire qu'il était la mère de tous les fils d'Obala. Au départ, certains ont cru qu'il s'agissait d'une faute de langue, et qu'il voulait plutôt dire le maire. C'est quand il a répété plusieurs fois qu'ils ont compris qu'il savait bien ce qu'il disait ", se souvient Anatole Ayissi Nga, son avocat. Pour ce dernier, Théodore Bella laisse d'ailleurs un chantier inachevé. " Il avait l'ambition de faire d'Obala un département. C'était l'un de ses grands combats politiques. Peut-être le remportera-t-il à titre posthume. " Cependant, le passage à la mairie de celui qui était considéré par tous comme un patriarche et un leader pour les fils du département de la Lekié, n'est pas ce qui aura marqué le plus les esprits. Personnage aux multiples activités, on le connaîtra surtout comme un riche homme d'affaires. Après des études primaires sanctionnées par le Cepe à la mission catholique d'Efok, il poursuivra ses classes à Yaoundé, jusqu'en 4e. Commis des postes, il acquiert en 1960 le fonds de commerce d'un certain D. Chevalier et fait son entrée dans le monde des affaires. Cette année marquera aussi la naissance de la raison sociale T. Bella, par la suite tellement connue que beaucoup en sont arrivés à ne jamais se demander quel était bien le prénom de son propriétaire. Le nom des " Chéris cars " par contre est resté dans la mémoire de ceux qui, dans les années 60, en sont venus à effectuer le déplacement de Yaoundé pour Obala. A travers Théodore Bella, pour la première fois, le transport par car s'est fait sur cette ligne. Il a ensuite étendu ses activités sur la ligne Yaoundé-Akonolinga. T. Bella, comme on a fini par l'appeler, sera un pionnier dans plusieurs domaines. Il sera le premier Noir a obtenir la gestion libre d'une station service d'essence dans la ville de Yaoundé. Il est aussi le deuxième exportateur de Cacao au Cameroun, après le Grec Mavromatis. En 1984, il est l'un des premiers à introduire la bureautique au Cameroun, en tant que représentant de la marque Olivetti. De la même façon, il représentera les produits de la marque Louis Roderer et ses fameux champagnes " cristal ". Il sera actionnaire dans plusieurs entreprises de la place, et même si certains ont gardé de lui un certain côté fantasque, on lui reconnaît certaines actions retentissantes, comme le fait d'avoir financé de sa poche le mobilier et même la restauration pendant le comice agro-pastoral de Bertoua. Ses proches lui reconnaissent aussi une disponibilité à toute épreuve : " Il appelait tout le monde fils. Et c'était vraiment un papa pour nous, quelqu'un qui savait donner le bon conseil, qui apportait son aide quand on lui posait un problème", se souvient l'un d'eux. L'homme d'affaires fera aussi une incursion dans le domaine du football, en tant que président de Tarzan d'Obala. Le club de sa ville sera même en ce moment-là au sein de l'élite. Membre de la chambre de commerce, des mines et de l'industrie, il en sera ensuite le délégué pour la province du Centre, tout comme il coiffera la casquette de membre, et plus tard 1er vice-président du Conseil économique et social. Pendant plusieurs années, ses affaires seront des plus prospères. Cependant, un passage en prison pour son implication dans une affaire de faux billets contribuera à le freiner quelque peu. Le supermarché fermera ses portes. Mais la légende de T. Bella avait déjà été faite. Celle qui lui permettra, en tant qu'élite de la Lekié, à remettre un chasse-mouche au candidat Paul Biya, en visite à Monatélé dans le cadre de sa campagne, le 5 octobre 2004. Celle-là qui restera vivante dans la petite ville d'Obala, mais aussi à Yaoundé, a travers l'immeuble qui se dresse encore fièrement au lieu dit... T. Bella.




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