Le Cameroun et les Nouvelles Technologies

Par | Cameroon-Info.Net
Yaoundé - 10-Feb-2001 - 08h30   53720                      
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Pourquoi le Cameroun devrait résolument et totalement s'investir dans Internet et la nouvelle société de l'information? Nous avons raté tant de coches pour prendre le train du développement. Celui de la révolution informatique est peut-être le dernier.
Nous voici donc dans ce fameux troisième millénaire tant annoncé comme étant celui de toutes les révolutions. Celle qui risque de définitivement changer la face du monde est la révolution informatique avec l'explosion d'Internet. Le gouvernement a intérêt à mettre rapidement sur pied un "Plan National Internet", l'avenir du Cameroun et des Camerounais en dépend. Parmi les inventions qui auront marqué l'histoire de l'humanité et en particulier celle du vingtième siècle, on notera, outre la découverte de la penicyline, celle de l'Internet. Une invention qui est en passe de bouleverser tous nos modes de vie, nos habitudes. Internet, aujourd'hui, est le passage obligé. L'avantage avec lui, c'est que presque tout le monde y gagne, tous les secteurs d'activité y trouvent leur compte: du vendeur de composants électroniques à l'ingénieur qui conçoit et vend ses programmes, en passant par les commercants d'ordinateurs, le réparateur du coin, les utilisateurs que sont les institutionnels, les écoles, hopitaux, entreprises, particuliers… La SONEL par exemple, la compagnie nationale d'électricité, pourra se frotter les mains, la consommation d'électricité augmente avec l'utilisation des appareils électroniques (ordinateurs, imprimantes, etc.). Mais devant Internet, tout le monde n'est pas égal. Par rapport à certains pays d'Afrique, le Cameroun s'en sort relativement bien. Mais les quelques progrès et avancées engrangés en la matière ne devraient surtout pas nous faire perdre de vue sur l'insuffisance des moyens dans ce domaine. Lapalisse n'aurait pas dit le contraire, pas d'Internet sans ordinateur. Pas d'ordinateur sans internet. Et là, force est de constater que le léger avantage du pays sur ses homologues africains fond comme neige au soleil. Il y a à peine 100.000 lignes de téléphone fixe au Cameroun. Faites le compte, sur une population estimée a 15 millions d'habitants! 1 téléphone pour 150 habitants. Pour les ordinateurs, ce ratio devrait tomber à un computer pour 10000 voire 20000 habitants, en l'absence de chiffres officiels. En quoi pouvons-nous tirer profit du Net? D'abord c'est l'ensemble de l'économie nationale qui peut trouver en Internet une formidable locomotive. Je disais tout à l'heure qu'avec Internet, tout le monde est gagnant. On crée des cyber cafés partout, on crée ainsi de l'emploi, des magasins de produits informatiques (disquettes, ordinateurs, imprimantes, programmes…) vont voir le jour, l'Etat percevra des taxes… Pour autant que l'Etat en fasse une de ses priorités, un Plan informatique peut ainsi voir le jour au Cameroun, celui-ci aurait pour effet de développer la téléphonie fixe à travers l'ensemble du territoire. De Ndikinimeki à Bokito, d'Obala à Sa'a, de Ndom à Makak..., une petite économie locale se créerait ainsi, dans des villages jusque-la reculés, mais qui, justement grâce à Internet, vont rejoindre le grand village planétaire. Internet peut aussi aider le secteur médical. Des vies entières pourraient ainsi être sauvées, grâce à l'échange d'informations entre professionnels camerounais de la santé, mais aussi avec leurs homologues d'autres pays étrangers. C'est le coté véloce de l'information, la diffusion du savoir et des connaissances que nous abordons ici. Imaginez un médecin camerounais désemparé face un cas inédit. Grâce à Internet, il pourrait bien consulter son collègue de Garoua ou de Bamenda… pour avis, et pourquoi pas de France ou de Belgique? Imaginez des écoliers camerounais qui participeraient à des visites virtuelles de laboratoires aux Etats-Unis mais depuis Bafia ou Nanga-Eboko, qui visiteraient des musées sur l'holocauste, la traite négrière…, toutes ces choses qu'ils ont toujours entendues ou lues, mais sans représentations imaginaires véritables. Et l'étudiant qui compulserait depuis Ngoa-Ekelle des livres à la Bibliothèque nationale de France ou royale de Belgique, sans débourser un franc ou sans se déplacer. Les avantages de Internet ne sont pas qu'économiques, ils sont d'abord culturels, humains. Internet réduit les distances entre les peuples, les gens, les pays. Avec lui, il n'y a plus de notion de temps et d'espace, tout s'estompe. Le monde devient véritablement un. Grâce à Internet, nous pouvons consolider nos démocraties naissantes et balbutiantes, faire tomber des dictatures ou du moins les mettre à mal. On peut sinon faire disparaître, du moins diminuer considérablement les fraudes électorales souvent constatées dans nos Etats africains. Monopolisant les micros et cameras des médias classiques que sont la radio, la presse écrite et la télévision, les Etats ont du mal à réguler Internet, à contrôler son contenu et donc l'information qu'il peut véhiculer. Une chance pour tous les combattants de la liberté, de la démocratie. Mais cela peut tout aussi freiner l'essor du Net en Afrique, face à des dirigeants qui pourraient voir en lui un contre-pouvoir. On connaît par exemple la méfiance de presque tous les Etats vis-à-vis de la télévision, partout ou celle-ci naissait il y a 50-60 ans. Ce serait alors une formidable et terrible régression pour nos pays, et pour notre jeunesse. Mais pour le moment, Internet permet aux Africains d'avoir droit à une autre information que celle, officielle, contrôlée et descendante, voulue par les gouvernants. Il suffit de se connecter pour avoir une tonalité différente sur tel sujet, ou même pour apprendre des choses sur son pays dont la presse locale ne fait pas état. Internet peut aussi aider nos dirigeants à faire de la politique autrement. En ratissant large, en dialoguant directement avec la population, pour échanger, découvrir, apprendre. Il y a actuellement une telle distance physique entre les hommes politiques camerounais et leurs concitoyens, que la fausse conception populaire selon laquelle la politique est réservée aux initiés, à une certaine élite, a encore de beaux jours devant elle. Avec Internet, nos députés et leaders politiques peuvent prendre le temps de parler avec leurs frères et sœurs, pour se découvrir tel que nous les percevons, ce que nous aimons le plus ou le moins en eux… cela peut se faire au détour d'une session hebdomadaire ou mensuelle, au cours de laquelle tel homme politique répondrait aux questions de la population. Mais, combien de nos leaders ont déjà vu une souris d'ordinateur que beaucoup confondent avec un rat? C'est justement l'occasion, pour eux, de s'y mettre. Internet, c'est comme cette petite boisson américaine noire, connue mondialement qui donne plus soif qu'elle ne désaltère. Plus on en consomme, plus on en veut encore. Essayez Internet et vous l'adopterez, messieurs les hommes politiques camerounais. Impossible de lister tous les secteurs de la société qui pourraient tirer avantage d'un développement de Internet en Afrique et au Cameroun. La Fonction publique qui se moderniserait ainsi, avec moins de fraudes, moins de corruption, moins de paperasses, moins de lenteurs, moins de "disparitions mystérieuses" de dossiers; l'éducation nationale qui participerait au réseau mondial de la diffusion des cultures et des connaissances; le secteur de l'information même qui trouverait ainsi de quoi s'auto-alimenter et de facto fournir aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs des informations plus riches, variées, internationales et libres. Car les Etats africains, principaux acteurs de la vie sociale, économique, culturelle, politique et même sportive, demeurent la principale source d'information des journaux du continent. Inaugurations d'écoles ou de ponts, remises des épaulettes aux policiers, visites de Secrétaires d'Etats à tel dispensaire… constituent, à 85%, le contenu des journaux officiels africains. Grâce à Internet, les pages internationales de ces journaux peuvent s'étoffer, le public n'attend que ça, pour s'exposer à nouveau aux médias officiels. La presse privée aussi part gagnante. Pauvre, n'ayant aucun correspondant à l'étranger pour la plupart des journaux du continent, ils trouveraient en Internet une source précieuse et gratuite d'informations; ce qui nous donnerait alors des journaux moins "cancans", moins amateurs et moins portés sur l'injure, la diffamation, l'approximation, le fait divers (lire à ce sujet Les Televisions africaines sous tutelle: le cas de la télévision nationale du Cameroun, Jean-Tobie Okala, paru en 1998 chez l'Harmattan, Paris) . Internet peut être un formidable levier pour réduire le chômage des universitaires obligés de se reconvertir en épiciers, taximen ou vendeurs à la sauvette. Il n'y a pas de sot métier, il y a des taximen qui font fortune. Les privés coûtent chers, seul l'Etat peut vulgariser la formation dans un premier temps aux diplômés, quels que soient leurs profils. Au sein de la rédaction de votre journal en ligne (Cameroon-Info.Net), nous vivons déjà cette interdisciplinarité, entre des économistes, ingénieurs, des documentalistes ou docteurs en Communication. Que dire alors des rédactions professionnelles et plus grandes? Il y a de la place pour tous. N'en déplaise à certains grincheux, Internet restera comme la découverte du siècle, quelque chose de révolutionnaire et d'incontournable, sans laquelle il sera de plus en plus difficile de vivre demain. C'est pour cela qu'il faudrait créer, pour chaque petit Camerounais et Africain d'aujourd'hui, les conditions d'accès à ce qu'on appelle "l'alphabétisation numérique"; et ce, dès l'école primaire. C'est à ce prix qu'ils seront demain les ressources humaines qui font tant défaut actuellement à nos pays, capables de rivaliser avec le Nord. Car le retard du développement de Internet en Afrique risque de se prolonger pendant de longues années, à cause du combat à armes inégales que le Sud livre face au Nord. L'éducation, la santé et les infrastructures étaient données pour priorités de nos gouvernements. Plus de 40 ans après nos indépendances, force est de constater que les armées et autres services de sécurité se sont plus développés que ces trois supposées priorités. Tout est donc à refaire. Avec, en prime, Internet. Nous n'espérerons pas attirer des investisseurs étrangers chez nous sans moyens et facilités de communication. L'Afrique devrait lancer un vaste Plan en ce sens, pour essayer seulement de résorber l'énorme retard concédé en la matière. Une conférence comme celle qui se tient la semaine prochaine à Bamako au Mali, "Bamako 2000", est à saluer. Et de se demander si l'Organisation de l'Unité Africaine l'OUA compte rester bras croisés et bouche fermée. Une session extraordinaire de cette organisation s'impose, à défaut de plans régionaux au niveau de la CEMAC, de la CEDEAO, de la SADCC ou de l'UMA pour l'Afrique du Nord. Au niveau camerounais, beaucoup de choses peuvent être entreprises. Et l'Etat devrait en être le principal instigateur. Car on observe malheureusement que les quelques initiatives qui vont dans ce sens relèvent du privé. Dans le domaine éducatif, principalement quelques universités et collèges privés de Douala ou de Yaoundé par exemple parlent Internet: Collège Vogt (avec un parc d'environ 50 ordinateurs), Collège de la Retraite, Collège et Université NDI SAMBA, Université SIANTOU... A Yaoundé, le principal Cyber Café reste New-Tech, avec un parc estimé a quelque 100 ordinateurs, mais les initiés auront remarqué que son propriétaire n'est autre que le fils de l'actuel ministre des Finances; les autres Cyber Cafés qui poussent comme des champignons fonctionnent avec 3 ou 5 ordinateurs. Que peut faire notre gouvernement? L'Etat devrait initier des projets où des universitaires et autres diplômés pourraient s'impliquer. Par exemple des sites sur le tourisme au Cameroun pour que le touriste puisse avoir de bonnes infos sur les places à visiter au Cameroun à travers Internet, donc vendre notre pays par le biais de Internet. Cela créera des emplois, fera rentrer des devises au pays (nous le faisons déjà modestement sur Cameroun-Info.net). Les annonceurs qui financeraient ces sites seraient installés partout dans le monde, encore une belle façon de faire rentrer des devises au pays et de faire connaître notre pays au monde entier. L'Etat devrait aussi faire un effort d'équiper la plupart des lycées et Collèges pour que l'utilisation de l'ordinateur devienne aussi obligatoire que l'écriture manuelle. Ceci pourrait faire que ceux qui ne vont pas loin dans les études puissent trouver un moyen de développer leur bizness sur les produits tournant autour de l'ordinateur et de Internet. Une partie de l'argent qu'on annonce au Cameroun aujourd'hui devrait être allouée à l'étude de la question par une commission compétente (par exemple) et ensuite à la formation des jeunes. La créativité des uns et des autres fera le reste. Ce qu'il faudrait, c'est décréter une "opération un Internet café pour chaque école" au Cameroun à l'horizon 2005. La Fête de la Jeunesse avait lieu la semaine dernière, une telle annonce aurait constitué un excellent cadeau à tous ces jeunes. Outre une Commission Nationale d'Informatique et des Nouvelles Technologies de l'Information à créer, ce qu'il nous faudrait également, ce serait une Journée annuelle des nouvelles technologies de l'information au Cameroun. Pour faire le bilan, d'ici à 2005, des efforts accomplis et encore à accomplir. Ce qui frustre et rend difficile l'implémentation de tels projets, c'est que nos dirigeants actuels sont des caciques formés à la vieille école et qui n'ont aucune notion de ce dont nous parlons. Les mêmes qui sont en charge du processus démocratique, on sait ce qu'il en est un peu partout en Afrique. Alors, s'agirait-il d'une nouvelle querelle des "anciens" et des "modernes"? D'un problème entre les jeunes et les vieux? Ce serait une erreur de jugement que de le penser ou de l'admettre. Il est des trains que l'on prend en chemin. Evidemment, je parlais de grincheux plus haut. Il y a des gens pour dénoncer le "tout informatique", le "culte Internet". Une étude de l'OCDE qui dénonçait, entre autres conséquences de Internet, la menace du lien social; certains font un parallèle entre le faible niveau d'instruction ou le niveau d'études très médiocre des sociétés nord-américaines (Etats-Unis et Canada) et le fait qu'elles aient 20 années d'avance sur l'Europe et un demi-siècle (?) sur le reste du monde sur les nouvelles technologies de l'information. Internet qui détruirait le lien social, qui empêcherait la communication…, quel comble! Lui qui justement permet de garder le contact. Pour terminer, laissons la parole à Nicholas Negroponte nous parler de L'Homme numérique (paru chez Robert Laffont, Paris, 1995) et des avantages que peut générer Internet: "la vision centralisatrice traditionnelle va devenir une chose du passé. La notion d'Etat va subir une mutation radicale… Pendant que les politiciens se débattent avec l'héritage de l'histoire, une nouvelle génération, libérée des vieux préjugés, émerge du paysage numérique… La technologie numérique peut-être une force naturelle attirant les gens dans une plus grande harmonie mondiale."




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