Le syndicaliste a aidé à la publication du rapport sur les "biens mal acquis" et les largesses de Paul Biya à des sectes occidentales...
Jean-Marc Bikoko
Photo: © Mutations
"J'attends toujours de savoir si la gendarme qui a failli m'arracher mes bijoux de famille a refusé l'augmentation des salaires de Paul Biya l'an dernier." Avec son éternel sourire en coin, Jean Marc Bikoko se remémore ce fameux 28 novembre 2007 où, devant le palais de l'Assemblée nationale, il eut maille à partir avec la soldatesque suite à une marche organisée par la Centrale syndicale du secteur public (Csp), dont il est le président et qui entendait exiger une amélioration des conditions de vie et de travail des employés de l'Etat. Ce jour-là, les protestataires furent empêchés de bruire. Le leader du mouvement et l'une de ses collègues, Brigitte Tamo, enseignante au lycée technique de Yaoundé et membre du syndicat, passèrent quelques longues heures difficiles à la légion de gendarmerie du Centre.
La bataille pour un mieux-être des salariés du public, M. Bikoko, enseignant d'histoire-géographie de lycées et collèges dans le civil, la mène depuis de longues années. Il persiste là où beaucoup auraient rendu les armes. Entre 1994 et 1995, non seulement il vit sans salaire, mais en plus il est révoqué du corps de la Fonction publique. Son activisme dans le mouvement syndical ne plait pas au régime. C'est la chambre administrative de la Cour suprême qui le réhabilite. Il ne pavoisera pas bien longtemps. De 1995 à 1999, on lui coupe de nouveau les vivres. Sans revenus, Jean Marc Bikoko, doit se contenter de dons et de libéralités. Fin mars 1995, le premier congrès ordinaire du Syndicat national autonome de l'enseignement secondaire (Snaes), tenu à Yaoundé, le porte à son secrétariat général. C'est véritablement l'entrée en scène de celui qui considère que "le Cameroun ne saurait continuer de se prévaloir d'être un Etat démocratique, tout en continuant de perpétuer des pratiques d'embrigadement d'une autre époque".
On décide de l'amadouer. Le 2 mai 1997, Jean-Marc Bikoko et ses camarades Angelo Phouet Foe et Joseph Ze défèrent à une invitation du Premier ministre Peter Mafany Musongue. A la fin de l'audience à l'Immeuble étoile, leur interlocuteur leur remet une somme d'un million de francs représentant "l'argent de taxi". Intrigués, ils font le tour de certaines rédactions de Yaoundé pour présenter l'enveloppe suspecte, et dont le contenu semble bien indiquer qu'il s'agit d'acheter leur collaboration. Mais certains de leurs amis du Snaes ne voient pas les choses sous le même angle. Ils crient à la tentative de corruption. "Nous aurions pu nous taire et nous partager cet argent à trois. Mais je ne mange pas de ce pain, puisque c'est nous-mêmes qui avions décidé de communiquer sur ce fameux argent de taxi", explique aujourd'hui M. Bikoko. Début septembre 1997, il est poussé hors de cette instance et annonce aussitôt la création du Syndicat national autonome de l'éducation et de la formation (Snaef), dont le poste de secrétaire général est assumé depuis quelque 4 ans par Angelo Phouet Foe.
Ostracisme
Une fois déchargé de cette fonction, M. Bikoko peut enfin se déployer dans un spectre plus large à travers la Csp, créé en mars 2000. Elle a posé des actes de défiance vis-à-vis des pouvoirs publics pour faire entendre la voix des sans-voix du secteur public. Cette virulence lui a valu l'ostracisme du gouvernement, qui ne goûte que très peu son "non alignement". Le 1er mai dernier encore, la Csp avait annoncé "sa" Fête du travail en sa permanence, sise au carrefour Bout carré à Yaoundé. "Le 1er mai, estimait-il, doit être l'occasion, pour les travailleurs, d'exprimer librement leurs revendications. Ce n'est plus le moment d'aller défiler sous le soleil, avec des pancartes inspirées par la hiérarchie, devant leurs bourreaux tranquillement assis dans les tribunes." Mais le pouvoir de Yaoundé n'a jamais autant déployé de moyens humains, financiers et matériels que lorsqu'il s'agit de casser une dynamique de rupture. Ce jour-là, des dizaines d'éléments de la police prirent position de bonne heure autour de l'immeuble, en bouchant les issues et procédant à quelques contrôles. Le siège ne fut levé qu'après le défilé du 20 mai.
Jean-Marc Bikoko s'est de nouveau retrouvé sous les feux de la rampe, suite à la publication par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (Ccfd-Terre solidaire) d'un rapport sur les "biens mal acquis" de Paul Biya. Ici et là, on crie au complot. Il reçoit des menaces de tous ordres, et prend le parti d'en rire : "En lieu et place d'éléments de preuve qui pourraient servir de contre-arguments aux citoyens face aux interpellations et moqueries , depuis la publication dudit rapport de la part des étrangers vivant dans notre pays, tout se passe comme si l'on refuse de regarder en face les faits allégués mais qu'on était plutôt à la recherche de boucs émissaires." Pour lui, il le nœud du problème se trouve dans l'article 66 de la Constitution. Celui-ci, que le pouvoir s'est librement donné, fait obligation aux détenteurs d'un mandat électif et aux gestionnaires de crédits de déclarer leurs biens au début et à la fin de leur mission. Il n'a jamais connu un début d'application, y compris par le président de la République, qui devrait pourtant prêcehr par l'exemple. Altermondialiste dans l'âme, celui qui se considère comme l'un des "dignes fils" de Um Nyobé, de Che Guevara et autres libérateurs du même acabit à travers le monde, est un homme têtu à la limite du stoïcisme. Les coups encaissés semblent, chaque fois, booster son moral et sa détermination. Par ces temps de mal-vie endémique doublée d'une mauvaise gouvernance ostentatoire, le leader de la Csp apparaît de plus en plus comme un bras secourable pour beaucoup de citoyens tentés par la résignation.