La rétrocession des activités d’exploitation a eu lieu vendredi.
Il restera sans doute encore pour quelque temps, des usagers rétifs ou nostalgiques pour continuer d’user du vocable « Snec », en parlant du service public de fourniture d’eau potable. Mais dans les faits, l’installation effective de la Camerounaise des eaux (CDE), comme nouveau gestionnaire des activités d’exploitation et de distribution de l’eau, a également marqué l’enterrement de la société nationale des eaux du Cameroun, qui laisse place à une structuration bicéphale entre la Société publique de patrimoine Camwater, chargée des investissements sur les infrastructures de production, et le fermier CDE qui devient la nouvelle interface client. Dans le bâtiment de la direction générale de la Camwater qui accueillait la cérémonie, l’importance de cet évènement n’a pas manqué de faire le plein de monde, avec, outre les directeurs généraux des deux sociétés, des membres du comité technique de privatisation, le ministre du Travail et de la Sécurité sociale Robert Nkili et celui de l’Eau et de l’Energie, Jean-Bernard Sindeu, qui présidait la cérémonie.
Ce dernier n’a pas manqué de souligner dans son discours, l’émotion particulière qui l’animait d’accompagner cette réforme historique du secteur de l’eau, mais surtout de voir tous les progrès qui ont marqué le processus de privatisation de la défunte Snec. En effet, comme le rappellera le Dg de Camwater un peu plus tôt, entre le 2 mai 2002, date de nomination du Dr Basile Atangana Kouna comme administrateur provisoire de la Snec, et le 2 mai 2008 où le duo Camwater – CDE prend le relais, l’entreprise en charge du service de l’eau a subi un redressement spectaculaire, tant sur les plans financiers, techniques, commerciaux et sociaux. Rationnalisation des dépenses et sécurisation des recettes au plan financier, réhabilitation de l’outil de production et des équipements au niveau technique pour atteindre aujourd’hui le gap des 300.000 m3 d’eau produits par jour, intensification de la campagne de branchements pour les particuliers qui ont permis une augmentation de 22% du nombre d’abonnés Snec, et en interne des actions fortes en faveur du personnel comme le remboursement de 908 millions de Fcfa d’épargne-prêt, la restauration de la prime de productivité, la reprise des cotisations à la Cnps ou le retour d’avancements et reclassements gelés depuis une vingtaine d’années. Ce qui a permis de ramener un climat social de sérénité, que le ministre Sindeu ne manquera pas de saluer.
Fort de tout cela, le Minee a donc donné pour mission à la CDE qui prend fonction, de renforcer cette dynamique de développement, en améliorant davantage les conditions de service aux abonnés, parallèlement au programme de densification du réseau prévu sur dix ans, grâce aux investissements de la Camwater, pour lesquels de nombreux bailleurs de fonds et partenaires au développement ont déjà souscrit. Bennani Mohamed, le directeur général de la CDE a pris acte, et a déjà annoncé dans ce sens, de plus grandes facilités pour les branchements, grâce au financement de la Banque mondiale.
Eric ELOUGA
CDE à l’oeuvre
Société privée, elle a la charge d’une mission de service public dans le secteur sensible de l’eau potable.
Société de droit camerounais, La Camerounaise des eaux (CDE) a été constituée par des entreprises marocaines. Il y a une entreprise publique du secteur de l’eau potable (ONEP), un groupe spécialisé dans la réalisation d’ouvrage dans ce secteur et un bureau d’études. C’est donc l’entité camerounaise de ce groupement qui va exploiter l’eau potable dans 115 villes du Cameroun dans lesquelles la Snec étaient déjà présente.
A la vérité, c’est cette CDE qui sera en contact avec les usagers puisque c’est elle qui va s’occuper de la distribution. Elle a pour première mission d’améliorer la qualité de l’eau distribuée. Mais aussi et surtout d’améliorer la qualité du service en limitant, entre autres, la durée des interruptions de service. Elle devra enfin veiller au bon fonctionnement des installations.
Les deux premières missions permettront très vite de juger du changement. L’accueil, le traitement des usagers, la réponse aux réclamations sont autant de critères pour évaluer le nouvel opérateur. Celui-ci annonce pourtant les bases sur lesquelles il fonde son action : la réussite du partenariat sud-sud, transformer le partenariat public-privé en levier du développement. Il fait aussi de la satisfaction des clients sa devise. Enfin, il dit accorder une place importante à ses ressources humaines.
Et les ressources humaines sont là. Les effectifs de la Snec ont été ou vont être redéployés entre Camwater et CDE. Le plus gros va à la CDE. Il est important de noter qu’aucune mesure de licenciement n’est prévue. Ce qui a permis, entre autres bonnes dispositions, de maintenir la sérénité au sein du personnel au moment de la finalisation de ce processus.
Une bonne nouvelle pour la clientèle, la CDE n’entend pas mettre à contribution les consommateurs à travers une augmentation des tarifs. Le directeur général de la CDE, Mohammed Bennani, annonce que « le groupement marocain a basé son offre autour d’un concept de partenariat sud-sud dans lequel toutes les parties sont gagnantes ».
Reste la vérité du terrain.
R. D. LEBOGO NDONGO
Une histoire longue et tourmentée
Le processus de privatisation de la Snec n’a pas été un long fleuve tranquille.
C’était le 2 mai 2002 à Douala. Au club Snec. Juste après l’installation du tout nouvel administrateur provisoire de la Snec, Clément Obouh Fegue, dernier directeur général de l’entreprise, présente à l’assistance Aminou Bassoro, président de la Commission technique de privatisation et des liquidations (CTPL). Des huées et des sifflets montent. Illustration de ce que le sujet de la privatisation et les hommes qui le traitaient n’avaient pas la cote en ces lieux.
Six années plus tard, jour pour jour, le sujet de la privatisation ne suscite aucune émotion particulière. Les temps ont bien changé.
En 2002, la société vit une période très difficile. Les activités de production et de distribution de l’eau vont comme elles peuvent. Le personnel est quasiment démobilisé à la fois par le contexte intérieur que par le flou qui entoure la privatisation. Au terme d’un premier processus de privatisation, on entend alors parler dans les coulisses d’un adjudicataire qui négocierait la reprise de la Snec pour 500 millions de francs. Une misère ! Pire, le repreneur ne souhaite s’occuper que de six localités jugées rentables. Avec, en plus, des licenciements à la clé.
L’administrateur provisoire va appliquer un traitement en douceur. Il consiste à redonner confiance aux employés. A faire baisser la tension née de l’incertitude des lendemains. Ensuite, on travaille pour produire plus et mieux. Cette gestion des hommes s’accompagne d’une reprise en main des finances de la société. Les finances justement retrouvent un meilleur équilibre.
La sérénité retrouvée, la continuité du service public de l’eau ainsi assurée, le gouvernement peut relancer le dossier de la privatisation. Il n’y a désormais plus une sorte d’épée de Damoclès qui pèse sur la tête de la CTPL.
En 2008, la production et la distribution de l’eau potable ont augmenté. Certes, au regard de la demande, on est loin de la satisfaction des besoins mais il y a du mieux. A Douala par exemple, la production est passée de 65 000m3/jour en 2002 à 115 000 m3/jour en 2008. Encore loin des 300 000m3/jour nécessaires pour répondre à la demande.
Le personnel se sent plus en sécurité. D’autant que sa situation a connu des améliorations depuis quelques années. Avec la reprise des avancements et des reclassements. Avec le remboursement d’une somme de plus de 900 millions de francs qui avait été retenue sur les salaires des employés. Avec l’attribution des médailles d’honneur du travail. Mais surtout avec l’annonce qu’aucun des 2 283 employés ne sera licencié à l’occasion de cette privatisation.
Six années auront donc permis à l’administrateur provisoire de conduire à bonne fin la mission à lui confiée. Le service public de l’eau s’est poursuivi et la privatisation est effective.
Ce n’était pas donné en 2002.
R. D. L. N.
Camwater : le bras agissant
L’entreprise publique a la responsabilité des investissements dans le secteur de l’eau potable.
A peine créée, déjà active et opérationnelle. La Camwater pilote le projet de la construction d’une usine de traitement d’eau potable d’une capacité de 50 000 m3/jour sur les rives du Moungo. Et ce n’est qu’un exemple. En réalité, la transition a été facilitée par la présence de Basile Atangana Kouna aux commandes à la fois en qualité d’administrateur provisoire de la Snec et de directeur général de Camwater.
Et les choses ne devraient pas s’arrêter maintenant que la séparation des rôles est effective. Outre le projet ci-dessus évoqué, il faudra acheminer l’eau produite à Douala. Cela se fera par une canalisation large de près d’un mètre. Celle-ci sera raccordée vers le pont sur le Wouri à celle existant et d’un diamètre de 350 mm. Dans le même temps, il est question de réhabiliter les installations de production et de traitement des eaux de Japoma « pour maintenir leur capacité (…) à 70 000m3/jour ». Toujours dans la ville de Douala, cinq forages devraient être construits en ville (Deïdo, Bassa, Cité des Palmiers, Génie militaire et Kotto) pour augmenter la capacité de production de 15 000 m3/jour. Toutes ces actions, en cours ou en projet, visent à combler en partie le lourd déficit qu’accuse la ville de Douala, forte de près de rois millions d’habitants. A ce jour, la desserte en eau potable de la capitale économique est assurée à … 35% seulement.
Yaoundé, capitale et autre grande métropole camerounaise, n’est pas mieux lotie avec un taux de desserte de 30% pour quelque deux millions d’habitants. Et pour relever ce taux à hauteur de 50%, Camwater envisage de remettre en service la station de production de la Mefou. Depuis la mise service de celle d’Akomnyada, la bonne vieille station de la Mefou avait été quasiment mise en veilleuse. Aujourd’hui, la croissance vertigineuse de la ville de Yaoundé remet cette installation dans le jeu.
Mais l’action de la Camwater ne se limite pas aux deux grandes métropoles. Les autres villes sont également au cœur des préoccupations. Réhabilitation des installations, extensions des réseaux sont deux des principales actions au menu.
Les énormes attentes des populations n’autorisent pas la Camwater à la moindre minute de repos. Elle qui a pour missions, entre autres, la planification et la réalisation des études, la maîtrise d’ouvrage, la gestion des financements pour les infrastructures liées au captage, au transport, au stockage et à la distribution de l’eau potable. Mais aussi la construction et la maintenance des ouvrages, le contrôle de la qualité de l’eau distribuée, etc.
C’est donc véritablement le bras agissant des pouvoirs publics dans le secteur de l’eau potable au Cameroun. Les 300 milliards de francs déjà prévus sur les dix prochaines années ne seront pas de trop.
R. D. LEBOGO NDONGO
Basile Atangana Kouna: « Un programme d’investissements de 300 milliards déjà adopté »
Basile Atangana Kouna, directeur général de Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater), apporte un éclairage sur les perspectives du secteur de l’eau potable.
Votre mission d’Administrateur provisoire vient de prendre fin. Vous sentez-vous soulagé ?
Bien entendu. On ne peut être que soulagé lorsqu’on est arrivé au terme d’une mission qui vous a été confiée par le Président de la République et dont les enjeux étaient hautement importants. Car comme vous devez le savoir, la fourniture quotidienne de l’eau aux populations est une mission sociale très sensible ; et lorsque par ailleurs il vous est demandé de veiller à la poursuite harmonieuse du processus de privatisation de la SNEC qui se trouvait quelque peu en panne, vous comprenez que l’aboutissement que je qualifierai d’heureux de cette double mission est un motif de réel soulagement pour moi, ainsi que pour mes principaux collaborateurs et même pour l’ensemble du personnel de la SNEC qui a su adhérer, avec enthousiasme, à la réforme du secteur de la fourniture du service public de l’eau potable engagée par le gouvernement.
Je voudrais saisir cette occasion pour remercier d’abord le Chef de l’Etat pour la confiance maintes fois renouvelée à ma modeste personne pour me permettre d’aller jusqu’au bout des mesures de redressement de l’entreprise que j’avais engagées ; mes remerciements s’adressent également au gouvernement pour son soutien constant dans l’accomplissement de notre mission, je n’oublie pas les bailleurs de fonds pour leur assistance multiforme, les usagers de l’eau ainsi que le personnel de la SNEC, pour leur compréhension, leur patience et leur contribution à la conclusion de cette opération.
Vous restez dans le secteur de l’eau à la tête de la société de patrimoine créée et mise en place par l’Etat. Quelles sont les priorités de Camwater ?
La priorité de Camwater est d’accroître et d’étendre la desserte d’eau actuelle dans les zones urbaines et péri urbaines, sur l’ensemble du territoire national. Notre objectif principal est de porter le taux de desserte à plus de 50% dans les grandes agglomérations telles que Douala, Yaoundé, Garoua, Bafoussam, etc. et, de façon générale, permettre à la majorité des Camerounais d’avoir accès à l’eau potable, au cours des dix prochaines années, comme le recommandent les Objectifs du Millénaire pour le Développement adoptés par l’ONU. C’est dans ce sens qu’un programme d’investissements a déjà été adopté pour les dix prochaines années à hauteur de près de 300 milliards de F Cfa. Il prévoit la réhabilitation et le renforcement des équipements actuels et la construction de nouvelles infrastructures.
Aujourd’hui, Douala et Yaoundé se caractérisent par le déficit de l’offre de l’eau potable face à une demande toujours croissante. Quels sont les grands projets qui peuvent permettre de rattraper ce retard ?
Les villes de Douala et de Yaoundé, comme vous pouvez vous en douter, sont les premières bénéficiaires de nos projets, car il s’agit des centres névralgiques dont il faudrait satisfaire prioritairement la forte demande en eau potable. C’est ainsi que, s’agissant de Douala, un projet de renforcement et d’amélioration de l’alimentation en eau potable a été lancé en janvier dernier par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, qui a procédé à la pose de la première pierre de construction d’une usine de production d’eau d’une capacité de 50 000 m3/jour. Nous envisageons également la construction des forages dans le périmètre urbain ainsi que la réhabilitation de certains équipements des usines de Japoma et de Massoumbou. Ces investissements permettront d’atteindre une production d’environ 300 000 m3/j, nécessaire pour combler le déficit actuel de la métropole économique.
Concernant Yaoundé, nous projetons de réhabiliter la station de traitement de la Mefou, qui est d’une capacité de 50 000 m3 par jour ; ce qui permettra, avec la production actuelle de l’usine d’Akomnyada, de satisfaire en grande partie la demande actuelle dans cette ville.
Nombre de villes de l’intérieur du pays souffrent d’un approvisionnement irrégulier en eau potable. Y a-t-il des réponses à leur apporter en urgence ?
Le programme d’investissements de Camwater dont je viens de vous présenter les grands traits concerne également les villes secondaires, car nous allons procéder à la réhabilitation des équipements existants et à la construction des ouvrages neufs dans les villes telles qu’Edéa, Ngaoundéré, Bertoua, Mbalmayo, Bamenda, Maroua, Bangangté, Buéa, Kribi, Limbé, Sangmélima etc. D’ailleurs, le Partenariat mondial pour l’aide liée aux résultats (GBOPA), qui est un fonds multilatéral administré par la Banque Mondiale, vient de faire un don d’une valeur de plus de 2,5 milliards F Cfa à la Camwater, pour la réalisation de 40 000 branchements sociaux. Ce projet sera exécuté dans un très proche avenir dans les différentes localités du pays.
Et les autres agglomérations qui ne cessent de grandir et qui attendent des adductions d’eau ?
Vous savez que l’accès à l’eau potable est un instrument de la lutte contre la pauvreté que mène le Gouvernement. Par conséquent, aucune couche sociale, ni agglomération, n’est en dehors des mesures prises par les pouvoirs publics pour permettre aux populations d’avoir accès à cette denrée. Que ce soit Yaoundé, Douala, Bertoua, Bafoussam, Maroua, ou encore les agglomérations de l’arrière pays, le souci du gouvernement est le même de voir la majorité bénéficier d’un service d’alimentation en eau potable. Dans les campagnes, des efforts sont déployés par les pouvoirs publics à travers le Ministère de l’Energie et de l’Eau et des organismes privés (Ong et associations) pour assurer l’approvisionnement en eau potable des populations en milieu rural.
R. D. L.N.
Un schéma efficace
Le nouveau cadre institutionnel mis en place pourrait inspirer quelques autres dossiers. En effet, une distribution bien réglée des missions permet aujourd’hui à chacun des acteurs de jouer sa partition. Les infrastructures restent dans le giron de la puissance publique. Elle garde ainsi la main sur cet outil important d’amélioration des conditions de vie des populations en zone urbaine principalement.
Le bras agissant de l’Etat, Camwater, peut ainsi travailler au développement des infrastructures afin de répondre à la progression de la demande. Et, dans le cadre du développement harmonieux du pays, les investissements ne seront pas concentrés uniquement dans les localités où la rentabilité financière peut être assurée.
De son côté, le fermier va se consacrer aux tâches d’exploitation sans trop se soucier du fardeau des infrastructures. L’amélioration de la qualité du service devient alors une priorité qui concentre les énergies.
Les deux opérateurs sont liés par un contrat. Le fermier, la CDE, paie à son partenaire une redevance. Sur celle-ci, on peut constater que tous deux ont intérêt à ce que ça se passe bien. Plus le montant de la redevance est élevé, plus les investissements seront importants et plus les volumes distribués vont augmenter. Une bonne chose pour le chiffre d’affaires du fermier sur lequel est assis la redevance.
Mais celle-ci n’est pas la seule source de financement de Camwater. La société publique bénéficie bien évidemment des financements que l’Etat peut mettre à sa disposition. Elle peut obtenir des financements de bailleurs de fonds. C’est le cas en ce moment avec des crédits chinois pour l’usine de production sur le Moungo. C’est aussi le cas avec le don de la Banque mondiale pour le financement de 40 000 branchements sociaux.
De nombreux bailleurs de fonds se montrent attentifs aux évolutions du secteur de l’eau potable au Cameroun. Aux chinois et à la Banque mondiale déjà évoqués plus haut viennent s’ajouter l’AFD (Agence française de Développement), le Japon dont un programme concerne les petites villes, la Belgique, les Pays-Bas, etc.
Une telle mobilisation assure un important volume d’investissements, crée des emplois et améliore les conditions de vie.
R. D. L.N.