L'auteur parle de l'indéniable filiation entre ses trois ouvrages, non sans indiquer que chacun garde une identité spécifique et caractérielle.
«Comme c'est beau la nuit une mer déchaînée» est un manuscrit qui est resté pendant longtemps dans les tiroirs de la maison des Éditions Clé. Dans quel contexte avez-vous écrit cet ouvrage et pourquoi avoir accepté son exhumation trois décennies après le texte reste-t-il d'actualité?
J'ai écrit «Comme c'est beau la nuit une mer déchaînée» à la fin d'un séjour de trois ans que je venais d'effectuer à Madagascar, au milieu des années soixante-dix, comme consultant, dans le cadre de l'exécution d'un projet d'infrastructures, financé par la Banque mondiale. L'intrigue, s'inspire des évènements qui se sont déroulés à cette période dans l'archipel des Comores", un chapelet d'îles africaines voisines, où je ne suis jamais allé. Ces évènements m'ont paru significatifs d'une situation commune à beaucoup de pays africains qui, pris isolément, n'ont aucune chance de s'en sortir dans un monde qui n'a aucune pitié pour les faibles. Il semble, d'après les réactions que j'ai reçues de nombreux lecteurs, y compris de l'éditeur lui-même, que les faits relatés restent tout à fait d'actualité, bien que le texte n'ait subi aucune retouche de fond. Une lectrice m'a particulièrement fait plaisir, en affirmant qu'elle avait reconnu dans la description que j'ai faite d'un personnage du roman, un responsable politique en poste aujourd'hui au Cameroun! Cela semble démontrer que le texte est intemporel, et méritait d'être exhumé plus de trente ans après.
Vous avez écrit, l’ouvrage à succès: «L'Afrique a-t-elle besoin d'un programme d'ajustement culture?»; dont la thématique reste inédite. Doit-on croire que les pistes que vous avez indiquées dans cet ouvrage, si l'on en juge par ce qui s'en est suivi, n'ont pas été ni expérimentées, ni implémentées?
«L'Afrique a-t-elle besoin d'un programme d'ajustement culturel?», est un ouvrage qui est paru il y a près de vingt-cinq ans. A ma grande surprise, il est resté sur un nombre considérable d'étagères, et il est encore cité dans des cercles les plus inattendus, en Chine, en Indonésie, comme aux Philippines. Pourtant en Afrique, aucun pouvoir politique n'a, à ma connaissance, assumé son contenu jusqu'à ce jour, sauf semble-il au Ghana où des autorités politiques y font parfois référence, dans le but d'entreprendre une révolution souhaitable des mentalités qui conduirait à mettre définitivement hors la loi, la sorcellerie et l'esprit magique qui constituent un frein à notre développement. Mais, c'est bien connu, il n'est jamais trop tard pour bien faire! Même si l'évolution de la mentalité collective tarde à se matérialiser, il n'est pas exclu que dans les années qui viennent, une «dissidence d'Etat» impose ici ou là, cet «ajustement culturel» qui est devenu, davantage qu'hier, une urgente nécessité pour sortir l'Afrique de sa longue crise de civilisation.
«Éloge de la dissidence», peut-il être considéré comme le prolongement de: «Comme c'est beau la nuit une mer déchaînée» et «L'Afrique a-t-elle besoin d'un programme d'ajustement culturel?». Est-ce parce que l'inertie, la passivité et l'indolence des peuples africains ont continué que vous proposez la phase offensive; celle de la contestation par la dissidence? Comment entrevoyez-vous cette dissidence; qui doit l'organiser et comment?
Bien sûr, les trois ouvrages ont une indéniable filiation, sans pour autant qu'on puisse dire que l'un est le prolongement de l'autre. En réalité, chacun de mes livres explore une veine du discours sur la renaissance africaine que je m'efforce d'étayer depuis ma toute première publication. Quatre autres essais font partie de l'inventaire, ils ont pour titres: «Cent ans d'aliénation» publié en 1985, aux éditions Silex, Paris. «Pour reconstruire et moderniser le Cameroun, on va faire comment?», publié en 1997 aux éditions Mont Mandara, Yaoundé. «Cameroun, une exception africaine?», publié en 2004, aux éditions Sherpa, Yaoundé. «Vers une société responsable, le cas de l'Afrique» publié en 2009, aux éditions l'Harmattan, Paris.
Parmi les curiosités observées dans «Éloge de la dissidence», il y a ce sentiment à penser que vous faites dans l'apologie de la dissidence. Pensez-vous réellement que c'est une voie salutaire pour l'émancipation des démocraties et les peuples africains?
Dans «Éloge de la dissidence», j'affirme que: vivre c'est se rebeller. Ce qui veut dire que la dissidence doit être considérée comme le principal moteur du progrès humain sous toutes ses formes. De fait, la vie des penseurs hors normes que je considère comme des mousquetaires de la dissidence —Nelson Mandela en fait partie- contribue à la vérification de cette hypothèse. Ce faisant, je montre que pour qu'une société progresse, une remise en cause permanente de ses pratiques et de ses valeurs est indispensable. Aucun changement social n'est possible dans une société où, aucune insatisfaction ne s'exprime clairement. Ainsi, si les moutons continuent d'être menés quotidiennement à l'abattoir, c'est bien parce qu'ils ne s'y sont jamais collectivement opposés. Les êtres humains n'ont aucun intérêt à se comporter comme des moutons.
On observe également une sorte de frénésie d'un grand nombre des pays africains à aller chercher des suppléments d'âme et des préfabriqués culturels et sociétaux à l'Occident-et même en Asie, en Chine particulièrement. Ces modèles peuvent-ils faire avancer le continent africain? Y-a-t-il au bout du chemin, un El Dorado en perspective?
L'historien français Fernand Braudel, faisait remarquer avec justesse que l'histoire de l'humanité est faite de continuels emprunts entre les civilisations. Ceci est tellement vrai qu'aujourd'hui, peu de gens en Occident, pour ne rien dire de la situation en Afrique, savent que la boussole, l'imprimerie, le papier et la poudre à canon sont des inventions chinoises; les Européens les ayant si bien assimilées, qu'on jurerait qu'ils en sont les inventeurs! J'affirme dans «Éloge de la dissidence», que tout ce qui est humain n'est étranger ni à l'Afrique ni aux Africains. Car c'est nous-mêmes Africains qui avons choisi par sottise, de vivre à la périphérie du monde. Le moment est aujourd'hui venu pour l'Afrique, non seulement, de raccrocher son wagon au train du monde, mais également de chercher, pourquoi pas, à en devenir la locomotive au cours des, siècles à venir. Notre redressement est à ce prix.