L’affaire fait grand bruit depuis quelques temps au point d’occuper une place de choix dans les colonnes de plusieurs supports d’information, aussi bien physiques que numériques. Elle expose clairement au grand jour le conflit désormais ouvert entre, d’une part, les collectivités coutumières Ntoumou et Mvae du département de la vallée du Ntem et, d’autre part, l’Etat du Cameroun (primature-ministère des domaines) et Neo-Industry SA. Mais, comment en est-on arrivé à une situation aussi critique?
Les origines de la discorde…
L’histoire se situe dans l’intervalle de temps allant de 2012 à 2020. Elle a pour point de départ, l’arrêté n°000258/MINDCAF du 03 juillet 2012, signé de Jacqueline Koung A Bessiké, l’ancienne ministre des domaines, du cadastre et des affaires foncières. Cet arrêté porte « déclaration d’utilité publique, les travaux de construction de la réserve foncière pour l’agro-industrie et les logements sociaux, dans le département de la Mvila, de l’Océan et de la Vallée du Ntem». Et, c’est justement sur la base de cet arrêté que 05 titres fonciers ont été établis par l’administration des domaines au profit de l’Etat du Cameroun. Il s‘agit, dans les détails, des titres de propriétés n°578/VNT, n°579/VNT, n°580/VNT, n°581/VNT et n°582/VNT.
Quatre années plus tard et, plus précisément le 11 août 2016, Philémon Yang, le premier ministre de cette époque, a signé un décret portant incorporation au domaine privé de l’Etat, des terrains nécessaires aux travaux de constitution des réserves foncières (….) et indemnisation des personnes, victimes de destruction de cultures. Les dépendances du domaine national concernées par cette opération d’incorporation étant situées notamment à Messama, Meyo-centre, Nkoroveng, Abang-minko’o, Nlono et ainsi que dans les arrondissements de Ma’an, d’Ambam, d’Olamze et de Kye-Ossi, tous dans le département de la Vallée du Ntem, région du Sud. Soit, au total, une superficie cumulée de 66430 hectares 10 ares 20 centiares.
Arrivé au ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières à la faveur du remaniement ministériel du 04 janvier 2019, Henri Eyebe Ayissi a procèdé le 27 mai 2020 à la signature de contrats de concession avec des sociétés de droit privé, parmi lesquelles figurent en bonne place, Neo Industry SA, PAC et BET ITIS. Dans le cas particulier de Neo Industry SA, il s’agit d’une unité de transformation des fèves de cacao du Cameroun. Elle est située à Kekem dans la région de l’ouest et est bâtie sur une superficie de 5 hectares. Avec à sa tête l’industriel Emmanuel Neossi, cette société a été inaugurée le 26 avril 2019 par les soins de Joseph Dion Ngute, l’actuel premier ministre, chef du gouvernement.
Après la signature de ces concessions, des géomètres ont été déployés sur le terrain à l’effet « d’implanter des bornes dans les plantations des collectivités Mvae et Ntoumou composant le département de la Vallée du Ntem et couches minoritaires dans la région du Sud Cameroun». Cette intrusion à la fois barbare et inélégante a, de toute évidence, entraîné la colère et l’indignation des peuples de cette partie du pays. D’où la levée de boucliers et la riposte musclée et énergique érigée sous la bannière du mouvement « Mobilisons nous pour mettre un stop à la braderie de nos terres », et traduite dans les faits par des démarches administratives et un déploiement tous azimuts dans les médias et réseaux sociaux.
Une affaire entachée d’irrégularités flagrantes et criardes
Blessées dans leur amour propre, au regard de ce «néocolonialisme» d’un autre genre, les populations de la vallée du Ntem, dans leur écrasante majorité, sont tout de même choquées de constater autant d’incongruités et d’irrégularités dans la gestion de cette affaire. La plus criarde, est sans l’ombre d’un doute, le caractère caduc de l’arrêté du 03 juillet 2012 sur la base duquel ont été établis les cinq titres fonciers querellés à ce jour, en raison de leur nullité. A côté de cela, il faut bien déplorer l’attitude très irresponsable de Quetong Handerson Kongeh, le préfet de l’époque (2012-2019). Notifié par le MINDCAF, cette ancienne autorité administrative, après investigation, a délibérément choisi de laisser moisir ce dossier dans les tiroirs de l’oubli, au lieu de le porter à la connaissance des concernés. Du coup, il n’y a jamais eu la descente sur le terrain d’une commission de constat et d’évaluation chargée d’effectuer les travaux relatifs aux opérations d’expropriation. Auditionnés à ce sujet les 07, 08, 09, et 10 juillet 2020, les chefs traditionnels des villages concernés ont formellement démenti leur implication dans ce processus d’expropriation imaginaire. Bien plus, les titres de propriétés établis par l’administration des domaines « englobent non seulement les mises en valeur des populations des villages concernés, mais en plus, ces titres fonciers englobent des rivières et des routes bien délimités », ce qui est évidemment contraire à la législation en vigueur.
Autant d’éléments et bien d’autres bavures aussi graves les unes que les autres qui ont conduit les populations de la Vallée du Ntem à saisir le premier ministre et le ministre des domaines. Par l’entremise d’un conseil d’avocats constitué à cet effet et regroupés au sein de la société civile professionnelle d’avocats dénommée Nkoa-Engo and Partners, des recours gracieux en annulation du décret du 11 août 2016 et de l’arrêté du 03 juillet 2012 ont été déposés en date du 16 juillet 2020.
Une campagne de collecte de fonds destinés à soutenir les différentes démarches administratives et judiciaires a été lancée sur la plateforme GoFundMe, par quelques forces du Département.
Un risque d’embrassement qui inquiète
Depuis le déclenchement de cette affaire, c’est peu de dire que le département de la vallée du Ntem est en ébullition. Pour obtenir gain de cause, les fils et filles (y compris ceux vivant à l’étranger, Ndlr) de cette partie du pays sont prêts à faire feu de tout bois. Pas étonnant d’entendre, ça et là, des déclarations lapidaires telles : « ils vont seulement marcher sur nos cadavres pour obtenir nos terres. » Encore que, beaucoup ont la ferme conviction que, dans l’une des clauses de la concession signée entre l’Etat du Cameroun et Neo Industry SA, il est précisé que « l’Etat s’engage à faire intervenir les forces de l’ordre, si les populations de la Vallée du Ntem essayent d’empêcher Neo Industry de faire son travail ». Qui plus est, le silence de certaines élites de ce département laisse songeur. Et même, l’indifférence notoire et la condescendance des responsables de Neo Industry qui ne se dérangent pas à fournir plus d’informations sur ce dossier.
Si rien n’est fait, la Vallée du Ntem a donc de fortes chances d’être vidée de ses habitants, vivant pour la plupart des fruits de leurs activités agricoles (culture du cacao et du plantain). Ces derniers «seront ainsi jetés en pâture par ce pouvoir exécutif censé garantir le respect de leurs droits», et obligés de «se refugier au Gabon et en Guinée Equatoriale».
Par ailleurs, bâti sur une superficie totale de 730.300 hectares, soit 7303 km carrés, ce département a déjà cédé une bonne partie de son espace à des projets gouvernementaux d’intérêt général. Parmi eux, on note, entre autres, le barrage hydro électrique de Memve’Ele et la construction de la route Ebolowa-Ambam-Kye-ossi-Abang Minko, Meyo Centre-Nyabizan.
L’arbitrage du chef de l’Etat et originaire de cette région du Cameroun est donc vivement attendu pour éviter le pire. Une chose est sûre, en tout cas, c’est que personne ne souhaiterait créer une autre crise en plus de celle du NOSO qui est aujourd’hui à l’origine de nombreuses et effroyables pertes en vies humaines et dégâts matériels.
En attendant, une intervention de «la très haute hiérarchie» du pays, Bouba Haman, le préfet de ce département, a convié depuis le 30 juillet 2020, les autorités traditionnelles de sa circonscription administrative à «une importance réunion de concertation». Celle-ci sera personnellement présidée par lui, le samedi 08 août 2020, dans la salle des délibérations de la commune d’Ambam. On croise les doigts !
Dimitri Gabgho
Documents:
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- 03-Aug-2020 - 04h52
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