"Le meurtre de Martinez s’explique mieux comme un crime crapuleux, liées au commerce d’information sur une écologie du crime dérivée de la bataille de plus en plus intense entre les héritiers de Biya."
QUI EST LE COLONEL DANWE ? POURQUOI NEGLIGER LA PISTE D’UN MEURTRE SANS COMMANDITAIRE ?
Jusqu’à cette heure, rien n’apparait encore certain dans les enquêtes menées au sujet de l’assassinat de Martinez Zogo, du moins en ce qui concerne l’information distillée au public. La Conférence de presse des avocats d’Amougou Belinga, annoncée hier dans les réseaux sociaux n’a pas eu lieu et on subodore que l’enquête connait des difficultés dans son évolution.
S’il en est ainsi et sans interférer dans les activités des enquêteurs, on peut se demander si l’une des causes des difficultés viendrait de l’hypothèse a priori qu’il y avait nécessairement des commanditaires du meurtre.
A mon avis, l’hypothèse d’un meurtre commis de manière autonome par les meurtriers a été négligée. Car dans ce cas, l’attention aurait été d’abord braquée sur le meurtrier, sa personnalité, sa moralité, ses motivations, ses antécédents, fréquentations, son environnement. Or, jusqu’à ce jour, personne ne sait qui est le colonel Danwe, comment il est entré dans l’armée, comment il a évolué, s’il a une famille et quels sont ses états de service.
A contrario, la certitude d’un commanditaire s’est imposée de manière hégémonique, au point de concentrer tous les efforts. La cause peut être la pression populaire qui avait déjà trouvé son coupable, ou des pressions occultes venant des milieux d’intérêt ou simplement la conviction même des enquêteurs. Cette hypothèse explique pourquoi on ne s’est pas attardé à la personnalité du colonel Danwe qui ne présentait plus d’intérêt dès lors que la responsabilité du crime était imputée à quelqu’un d’autre.
Pourtant, et autant qu’on puisse examiner l’affaire au regard des informations connues du public, et toutes réserves faites, les scénarios intégrant un ou plusieurs commanditaires dans ce meurtre présentent de trop grosses incohérences et surtout, apparaissent tous incompatibles avec les fait tels que nous les connaissions et la psychologie normale des gens.
On peut citer quelques-uns de ces faits :
- Martinez a été tué quelques heures après son enlèvement, après de violentes tortures, ce qui suppose que ses meurtriers avaient un urgent besoin de lui arracher des informations et étaient pris par le temps ;
- le meurtre a été commis par la DGRE, avec un grand nombre de personnel de cette institution stratégique, ce qui n’est pas possible si ces agents publics n’étaient pas convaincus de la légalité de leur acte, d’où la question : qui les a convaincus ?
- le meurtrier dénonciateur n’est pas un quidam quelconque, obligé d’arrondir ses fins de mois par des bricoles et des meurtres. C’est un colonel de l’armée, ce qui au Cameroun, représente le summum de la hiérarchie sociale. Et de plus, ce colonel occupe un poste stratégique, le chargé des opérations du service d’espionnage national qui ne manque pas de ressources, quelles que soient les circonstances et surtout, sans le contrôle des instruments classiques de contrôle budgétaire. Ce colonel a connu une carrière où il a eu des postes et on peut dire que c’est un agent public confirmé. One ne voit donc pas très bien comment un tel individu pourrait prendre des instructions d’un individu au quartier, au point d’enlever à son profit un individu et le tuer.
- le commanditaire présumé, Amougou Belinga, nie évidemment, et d’un point de vue logique, on ne voit pas très bien comment un homme de cette ampleur, qui a tout connu, un dur entre les durs, peut commettre l’erreur d’assassiner quelqu’un qui annonce partout qu’il va l’assassiner ! Surtout dans un environnement où lui-même sait que le crime lui sera spontanément attribué, étant donné que depuis de longs mois, son nom est sur toutes les lèvres comme responsable de tout le mal au Cameroun ;
- les dénégations de M. EKO EKO, le Directeur Général de la DGRE, qui affirme ignorer tout de cette opération
- la citation du Ministre ESSO, comme ordonnateur de l’exécution par téléphone ;
- Martinez Zogo se savait en danger, mais d’où venait ce danger ? Ce n’était pas la première fois qu’il dénonçait un haut responsable et Amougou Belinga était devenu sa brosse à dents. Il avait donc une idée claire de ce qui le menaçait et il a demandé la protection de la police. En outre, quand il a vu ses meurtriers, ils les a probablement reconnus et a tenté de se réfugier dans une gendarmerie.
-etc.
Dans le scénario du meurtre commandité, ces faits sont improbables pour plusieurs rasions :
- le recours d’un commanditaire à une institution de haute police composée de commissaires divisionnaires et de colonels était extrêmement risqué, car non seulement il pouvait être immédiatement interpelé, mais il courait aussi le risque d’un chantage permanent infiniment plus coûteux que le recours à des assassins du quartier
- le meurtre présentait un risque très important, quel que soit le camp. Dans le camp d’Amougou Belinga, le lien allait être établi de manière évidente, puisque la victime les indexait a priori. Mais même l‘autre camp n’est pas puéril au point de croire qu’on allait détruire leurs ennemis sans une enquête approfondie qui aurait pu lever le lièvre à leur détriment.
Le scénario le plus probable, et qui explique tous les faits exposés est justement celui où il n’y a aucun commanditaire, Danwe et ses collègues étant les seuls responsables du crime.
Autrement dit, il n’y a aucun crime d’Etat ! Il y a tout simplement un meurtre par des agents publics.
Dans ce cas, le meurtre s’expliquerait de la manière suivante : les héritiers de Biya sont répartis en 2 camps qui se disputent violemment la succession. Cette lutte prend toutes les formes possibles, et l’un des axes majeurs de ce combat épique est la recherche et la diffusion des informations nuisibles pour l’autre camp.
Cette information peut prendre la forme économique, politique, financière, sécuritaire, et même privé.
Autour de cette lutte à mort s’est développée une faune qui tire d’importantes ressources dans la production et la diffusion de ces informations nuisibles. Cette faune comprend notamment :
- les fonctionnaires de certains services qui produisent l’information, comme les Finances, l’Economie ou la Sécurité
- certains médias, journalistes et influenceurs qui vivent de chantage et de calomnie, au gré des sommes occultes ;
- une foule d’intermédiaires à la solde des personnalités, et qui jouent l’intermédiation entre ces personnalités et les milieux de la presse ou l’administration.
Cette faune n’a aucune préoccupation idéologique et n’a pas de camp : elle va au plus offrant. A son tour, elle se constitue en vastes réseaux annexes qui collectent l’information, la diffusent et la vendent dans les camps opposés et exercent le chantage sur les personnalités.
Le tout sur fond de tractations financières informelles qui en font objectivement un milieu glauque et mafieux. Et comme tout milieu de cette nature, les règlements de compte sont très fréquents, alimentés par des problèmes de répartition de l’argent collecté, des trahisons, de doublures, etc.
C’est dans le cadre des transactions de cette faune que devrait s’inscrire le meurtre de Martinez à mon avis.
On peut alors supposer que cette activité de vente d’information et de chantage a greffé au sein de la DGRE, sous le contrôle de M. Danwe qui, en tant que Chef des Opérations, pouvait facilement manipuler ses équipes et leur faire croire à la légalité des crimes.
Lui-même ou son équipe aurait eu des tractations glauques avec.
Martinez Zogo sur la base de ce commerce d’information et les choses auraient mal tourné : mauvais partage d’argent, confiscation du revenu acquis, etc.
Seul ce scénario explique que Martinez se soit senti en danger de mort réel, qu’il ait demandé la protection de la police, qu’il ait spontanément reconnu ses meurtriers en tentant de se réfugier dans une gendarmerie, et surtout, qu’il ait été torturé pour lui arracher des informations.
Ce scénario explique également que le Directeur général EKO EJO ait effectivement pu être totalement ignorant de l’affaire.
L’accusation d’Amougou Belinga s’expliquerait d’une part, par le besoin du colonel de relativiser la cruauté de son acte en l’imputant à un coupable idéal, et d’autre part, par une prédisposition des enquêteurs à passer trop vite à la recherche du commanditaire, au lieu de se concentrer sur le criminel… comme si un colonel d’armée avait besoin d’un souffleur pour commettre un crime.
Le dernier acte viendra évidemment des ennemis d’Amougou Belinga qui sont tout autant innocents d meurtre, mais qui ne pouvaient rater cette aubaine pour porter une estocade mortelle au camp ennemi, en gonflant cette version pour chauffer la populace et en ameutant la presse internationale.
Ce scénario me parait plus probable parce qu’il est conforme à la typologie des gens, à l’implication supposée des deux camps et à leur personnalité. Il est plus conforme aux faits connus, mais il entraîne d’office une réorientation de l’enquête sur la personnalité du meurtrier principal.
Le meurtre de Martinez s’explique mieux comme un crime crapuleux, liées au commerce d’information sur une écologie du crime dérivée de la bataille de plus en plus intense entre les héritiers de Biya.
En privilégiant trop tôt la piste d’un commanditaire, on a pris le risque d’aboutir à une impasse et même à des abus policiers et judiciaires. Connaissant les institutions qui n’aiment pas perdre la face, comme le montre la célèbre affaire Dreyfus et faute d’une preuve évidente, les enquêteurs pourraient être tentés d’engager un forcing forcené de la culpabilité à tout prix, à une enquête tentaculaire fondée sur des allégations approximatives, des supputations tirées par les cheveux, ou le parasitage de l’enquête par d’autres affaires n’ayant aucun lien avec le meurtre.
C’est une hypothèse, à mon sens, qu’il faudrait explorer.
Dieudonné ESSOMBA