Sucre: le salaire du monopole

Par Alphonse Ateba Noa | Mutations
Yaoundé - 25-Feb-2004 - 08h30   52458                      
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Depuis quelques semaines, la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) est aux abois. Et pour cause.
Depuis quelques semaines, la Société sucrière du Cameroun (Sosucam) est aux abois. Et pour cause. le sucre de la contrebande, de petite qualité et forcement moins cher, dit-on, menace la production nationale au point de mettre en sérieuse difficulté toute la filière sucrière au Cameroun. Naturellement, tout le monde semble très ému par la situation, les responsables et propriétaires de l’agro-industrie en tête, et l’ensemble de la communauté nationale en second, sans que personne ne songe à s’interroger véritablement sur les causes profondes du mal. Et du coup, tout le monde a tôt fait de pointer un doigt accusateur facile sur la contrebande et la rude concurrence des produits importés dont on dit grassement subventionnés dans leurs pays de production. Soit. Mais qu’est ce qui entraîne la préférence du consommateur camerounais pour ce produit-là ? Sans être des professionnels du marketing, nous sommes tentés d’en donner quelques raisons : le prix certes, qui est le premier argument de décision d’achat dans une économie à faible pouvoir d’achat comme la nôtre, la qualité de l’emballage ensuite qui est le premier élément d’attrait d’une marchandise sur le marché, la présentation physique du produit lui-même enfin qui est un indicateur de persuasion efficace sur qualité du produit. Or pour ne prendre que ces trois critères élémentaires, le sucre importé ou de contrebande présente des avantages comparatifs certains par rapport au produit Sosucam trop cher, à l’emballage peu pratique, malgré quelques efforts d’amélioration, et aux carreaux qui fondent au premier contact avec l’humidité. Et pour ne rien arranger, il s’ajoute un déficit de communication (publicité commerciale) criard sur ce produit à base de sucre de canne pourtant de qualité supérieure, comparé à ses concurrents sur le marché produits à partir du sucre de betterave et dans un environnement industriel dominé par la pratique des substitutions. Ces constats conduisent tous vers une seule et même piste, véritable racine du mal dont souffre aujourd’hui la Sosucam : sa position dominante sur le marché national, pour ne pas parler tout simplement de situation de monopole. De fait, la filière sucrière au Cameroun est entre les mains d’un seul opérateur : le groupe français Villegrain, propriétaire déjà depuis plusieurs décennies de Sosucam et de Nosuca, et qui a repris la Cameroun Sugar Company (Camsuco) en 1998, suite à une opération de privatisation dont on ne peut pas dire qu’elle fut un modèle de transparence, et de respect de l’orthodoxie en matière de privatisation au cameroun. C’est le lieu sans doute de rappeler que la Sosucam a racheté son unique concurrent, Camsuco, en 1998 au mépris de la série des lois anticoncurrentielles votée par l’Assemblée nationale du Cameroun, et qui interdisent à une société en position dominante sur le marché, de racheter une société concurrente pour éviter les situations de monopole absolu comme celle actuelle du groupe villegrain dans la filière sucre. Mais comme le Cameroun c’est le Cameroun, et que les lois n’y sont applicables que contre les plus faibles, les raisons politiques (nous voulons évoquer le poids politique du principal dirigeant de la Sosucam, Louis Yinda) ont prévalu sur cette loi restrictive, élaborée sur le modèle des lois antitrust aux Etats-Unis et qui ont souvent freiner les ardeurs commerciaux du géant Microsoft face à ses petits concurrents IBM et les autres dans le domaine de l’informatique. Cinq ans seulement plus tard, par un effet de ruse de la raison, la loi bafouée prend sa vengeance sur la puissance de l’argent et le poids politique des hommes. Pour s’être retrouvée en position de monopole, et donc sans concurrent sur le marché national, Sosucam a oublié de travailler davantage sur son produit, et s’est comporté comme en territoire conquis, supprimant tous ses budgets de communication, et ne se contentant plus que de passer à l’échelle en multipliant le nombre d’hectares de canne à sucre cultivés et en augmentant la capacité de production de son usine. Aujourd’hui, le constat est amer : du fait de l’ouverture du marché et de l’effondrement des barrières tarifaires et douanières, la concurrence étouffée de l’intérieur afflue de l’extérieur, et l’agro-industriel camerounais qui ne s’y est pas préparé est pris de cours. Pire, les solutions qu’il envisage pour sortir de la crise semblent ridicules et sans originalité, ni génie particulier. Lutter contre les épiphénomènes que sont la contrebande et la fraude douanière, bien que tout aussi nocifs, alors que la solution est de s’ajuster au plan structurel et économique, de manière à se comporter comme une entreprise en situation réelle de concurrence ouverte, c’est comme, pour un cas clinique avéré de paludisme, soigner la fièvre sans daigner se préoccuper de la malaria dont elle n’est que l’une des manifestations les plus visibles, mais sans doute les moins dévastatrices.




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