Succession au Cameroun: Franck BIYA après Paul BIYA ?

Par Paulin Mballa | Cameroon-Info.Net
- 07-Sep-2009 - 08h30   82159                      
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Le socio-politologue, Mathias Eric Owona Nguini, enseignant à l’Université de Yaoundé 2 et chercheur à la Fondation Paul Ango Ela, estime que l’élection d’Ali Ben Bongo comme Président du Gabon, obéit à une mode de « monarchisation du pouvoir » qui s’installe progressivement en Afrique francophone. Le Cameroun à son avis n’est pas éloigné de ce scénario. Comment Franck Emmanuel Biya, si effacé de la scène politique nationale, pourra-t-il succéder à son père Paul Biya ? Analyse dans cet entretien accordé à Cameroon-Info.Net.

Mathias Eric Owona Nguini
Photo: © Archives
Cameroon-Info.Net: Ali Ben Bongo vient d’être élu Président du Gabon. C’est le fils du défunt Président Omar Bongo Ondimba. Il est le 3e fils de Président à succéder à son père après Faure Eyadema du Togo et Joseph Kabila Kabange de la RDC. Quelle est votre analyse ? Owona Nguini: L’élection d’Ali Bongo Ondimba comme Président de la République gabonaise est pratiquement acquise sur le plan institutionnel. Elle a été établie par les résultats de la Commission Electorale Nationale Autonome et Permanente. La lecture de ces résultats par le ministre de l’intérieur, Jean François Ndongou et validée par la Cour Constitutionnelle présidée par Mme Marie-Madeleine Mborantsuo. Maintenant cette élection au niveau matériel s’est déroulée dans un climat de controverse autour des procédures de proclamation des résultats. Il n’en reste pas moins qu’Ali Bongo Odimba est Président du Gabon, et comme vous l’avez dit, il est le fils d’Omar Bongo Odimba le précédent Président du Gabon ; cela fait qu’on se retrouve dans un scénario ou, une nouvelle fois en Afrique francophone, on a un nouveau Président qui est issu d’un ascendant, d’un parent qui a été Président de la République. Le problème en tant que tel ce n’est pas qu’un fils de Président puisse accéder à la magistrature suprême dans une République africaine. Ce sont les conditions institutionnelles, procédurales par lesquelles ces fils de Président eux-mêmes devenus Présidents, sont arrivés au pouvoir qui sont en question. Cela montre qu’il ya dans certains pays et particulièrement les pays d’Afrique francophone, un mouvement de plus en plus net de déformation, non seulement monarchique mais surtout dynastique des Républiques. On sait qu’en Afrique généralement les modèles d’organisation du pouvoir qui émergent s’imposent au fur et à mesure qu’une certaine mode se diffuse. C'est pour cela que dans les années 60 on a vu se développer les coups d’Etats et ensuite les partis uniques, ou alors les partis uniques et puis les coups d’États. On a vu à partir de la fin des années 70, un certain nombre de partis uniques se mettre à la mode des élections internes concurrentielles .On a vu un certain nombre de pays aussi entrer en crise d’ajustement structurel. A la fin des années 80 on a vu les contestations qui ont conduit soit à des conférences nationales, puis à des retours institutionnels au pluralisme, soit directement un passage au pluralisme sans conférence nationale. On voit donc que l’une des voies de la régression de la vague démocratique des années 90 en Afrique, c’est précisément ce scénario de la monarchisation plus ou moins déguisée des républiques africaines ; l’autre scénario étant celui du coup d’Etat qu’on légitime ensuite par une opération électorale.

Frank Biya fils aîné de Paul Biya
et son petit frère, Junior Biya
Photo: © Archives
Cameroon-Info.Net: Le Cameroun peut-il y échapper ? Owona Nguini: Le Cameroun peut y échapper comme il ne peut pas y échapper. Quand on voit un pays comme le Gabon qui même s’il a une histoire différente a une structure politique et administrative, sociopolitique assez proche de celle de la république du Cameroun, même si chaque pays conserve son originalité et sa spécificité. On peut penser que le Cameroun n’est pas nécessairement à l’abri de ce scénario de la monarchisation. Dans notre propre réflexion théorique et scientifique, nous avions parlé de gouvernements perpétuels ; et dans certaines réflexions que nous avions faits dans certains organes de presse panafricaine, nous avions parlé de républiques monarchiques en évoquant précisément la possibilité qu’un certain nombre de présidents perpétuels, de leaders installés pratiquement à vie au pouvoir puissent être remplacés par leurs fils. Dans cette logique ou le Cameroun se caractérise aussi par des structures de gouvernements perpétuels, il est tout à fait possible que sa trajectoire politique future puisse prendre la forme d’une monarchisation. Même si en même temps, compte tenu de la manière dont le jeu politique s’est joué, compte tenu de la stratégie et du style gouvernant du Président en place, on n’a pas l’impression que ce soit un scénario dominant. On sait néanmoins que l’art politique du Président camerounais est un art qui fait appel à un certain niveau de dissimulation, de simulation, de réserve, de retenue, de jeu en termes d’effet de surprise, donc d’un certain niveau donc rien n’est impossible en ce sens. Cameroon-Info.Net: Contrairement au Gabon par exemple ou Ali Ben Bongo faisait partie du double appareil gouvernemental et du parti au pouvoir, le fils du Président camerounais est complètement effacé, sinon absent. Owona Nguini: Oui, les choix de gouvernement du Président Biya ont fait que jusqu’ici il n’a pas été amené , il ne sait pas cru obligé de mettre son fils aîné Franck Emmanuel Biya dans une position institutionnelle de pouvoir, mais vous savez aussi au moins du point de vue institutionnel que les pouvoirs de nomination du Président sont discrétionnaires. Ça veut dire qu’il peut le faire à tout moment s’il le juge, si ce parrainage prend la voie étatique, il peut aussi le faire en lui donnant une place dans son principal organe d’action politique qui est le RDPC. Si cela pour l’instant n’est que spéculation, on sait qu’avec un tel art de pouvoir, tout est possible à tout moment. Cameroon-Info.Net: Au Gabon cela n’est visiblement pas bien passé pour tout le monde au sein du PDG, ça pourra être pareil au RDPC ? Owona Nguini: Disons d’abord de toutes les manières que ce que nous faisons ici relève de la conjecture, la supputation et de la spéculation, mais on sait aussi que la conjecture, la supputation et de la spéculation peuvent devenir des scénarios vraisemblables voire vrais. Dans l’hypothèse d’un tel scénario, il est clair que le parti gouvernant RDPC irait certainement vers un éclatement, peut-être même sur un modèle plus turbulent, et plus brutal que ce qu’on a pu voir avec le PDG. Mais compte tenu également des profils politiques comportementaux développés de manière dominante au sein du RDPC, il est clair qu’un certain nombre d’acteurs peuvent tout à fait jouer une telle carte si ils estiment que celle-ci leur permettrait de préserver leurs intérêts. Cameroon-Info.Net: Parlons de votre candidature récemment annoncée par certains membres de la société civile. Etes-vous candidat en 2011 ? Owona Nguini: Je ne sais pas s’il ya une élection pour que je sois candidat, ce que je sais c’est que tout cela pour l’instant ne relève que de la spéculation. Maintenant toute spéculation peut être manipulée dans tous les sens possibles. Cameroon-Info.Net: Seriez-vous prêt à répondre à quelque sollicitation le moment venu? Owona Nguini: Nous n’en sommes pas là? Tout ce que je peux dire c’est que je regarde, je ne prononce en aucune manière. Cameroon-Info.Net: Avez-vous été consulté par ceux qui ont donné votre nom comme leur candidat ? Owona Nguini: Non ils ne m’ont pas consulté et ils l’ont fait savoir, c’est pour cela que je ne me sens pas lié par leur démarche, maintenant pour l’instant je suis extérieur à cette démarche, je dis bien pour l’instant, peut-être ça pourra changer je me contente d’observer. Seulement ce que je peux aussi dire est que l’implication dans une telle posture est lourde de conséquences et demande qu’il y ait un certain nombre de ressources à mobiliser, la suite nous montrera dans quel sens on ira. Cameroon-Info.Net: Le challenge vous tente-t-il malgré tout ? Owona Nguini: Moi je suis d’abord politologue et intellectuel, le challenge me tente-t-il ? Je n’en sais rien.




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