Certains ont été cooptés contre leur gré.
Le Maire RDPC de Kousseri, Mahamat Abdoulkarim, doit être bien malheureux dans son coin. Contre son gré, il a été investi par la haute hiérarchie de son parti sur la liste RDPC pour la Région de l'Extrême-Nord. «Il n'en voulait pas et n'avait pas fait acte de candidature. Comment pensez-vous que l'on puisse laisser un poste aussi important que celui de Maire de Kousseri pour aller au Sénat? Il est déjà quotidiennement au contact des populations, qu'est-ce que le Sénat va lui apporter de plus? Vraiment, il n'en voulait pas et je pense qu'à l'heure du choix, il va laisser son suppléant aller au Sénat pour peu qu'il ait l'assurance de conserver la mairie après les prochaines élections municipales», témoigne un de ses proches.
Le parti l'a choisi, d'abord parce qu'il est Arabe-Choa, en plus parce qu'il n'avait pas beaucoup de choix.
L'Honorable Kamssouloum Abba Kabir, leader politique du parti au pouvoir dans le département et candidat à l'investiture, a été disqualifié à l'instar de tous les députés. Hessena Mahamat, autre postulant de poids, Directeur des Affaires Générales à la Présidence de la République, et candidat à la candidature, s'était déjà tiré une balle dans les pieds : chargé de missions dans la Commission régionale du RDPC conduite par Louis Paul Motaze, il n'avait pas pris la peine de démissionner avant d'intégrer la liste de Cavaye Yeguié Djibril. Faute d'alternative, le parti a jeté son dévolu sur un militant certes fidèle, mais qui ne demandait pas à aller au Sénat.
«Des militants Kotoko avaient le profil, mais il n'était pas question d'en choisir un. Les Arabe-choas contrôlent toutes les communes de ce département et presque les ¾ des 300 Conseillers municipaux invités à voter pour le compte du département. C'était difficile de choisir un Kotoko parce que, là-bas, les clivages sont très marqués. Il reste à espérer que le Président nomme un Kotoko parmi les trente qui seront désignés pour rétablir un équilibre entre le poids politique et la légitimité historique», explique une personnalité qui a participé à la confection des listes.
Si Mahamat Abdoulkarim peut discrètement regretter sa désignation, un autre célèbre son investiture à tout va, dans un brouhaha d'interrogations. Cet homme, c'est Fayçal Mourad. Il figure en deuxième position sur la liste du RDPC et, comme Mme Julienne Djackaou, représente le Diamaré. Aligné au départ sur la liste du Président de l'Assemblée Nationale, il doit sans doute cette élévation à sa proximité avec ce dernier. «C'est un homme sans grande prétention, mais qui a déjà fait ses preuves de militant. Il doit faire plus que tout le monde et demander en retour moins, parce que les mauvaises langues lui rappellent sans cesse qu'il est libano-camerounais», témoigne un ancien ministre du Diamaré.
Au-delà de ce débat de seconde zone, n'avait-on pas mieux? Si tant est que les députés aient été exclus de la course, pour le malheur de Sali Dahirou, le parti au pouvoir disposait dans cette unité administrative d'un grand éventail de possibilités : entre l'ancien député Alioum Alhadji, l'ancien Ministre Adji Abdoulaye et bien d'autres personnalités, il ne manquait pas de solutions...
Au fond, sans que les uns et les autres puissent le dire ouvertement, c'est le sentiment d'être en permanence «représenté» par les «gens d'ailleurs», qu'une partie de l'élite du Diamaré dénonce sous cape. «Fayçal Mourad est un brave homme. Personne ne peut lui denier son appartenance au département. Il a épousé une fille de la région, ses parents sont enterrés ici. Mais, est-ce que si Fayçal Mourad faisait tout cela dans le Mayo-Sava, il aurait été choisi sur la liste ? Non. Est-ce que si Fayçal Mourad faisait tout cela dans le Logone et Chari, il serait choisi sur la liste? Non.
Fayçal Mourad fait cela dans le Diamaré et il est choisi. Il y a toujours une propension chez certains à imposer au Diamaré des personnes contestables, et cela plombe l'efficacité recherchée. Hier c'était des ministres, aujourd'hui c'est le tour d'un futur Sénateur», s'agace un Conseiller municipal. Dans la soirée du 17 mars, on s'interrogeait encore au Comité central du RDPC sur sa nationalité. Dispose-t-il d'une seule nationalité? Si oui laquelle? Ou alors dispose-t-il d'une double nationalité en violation des textes en vigueur et au risque de compromettre la légalité de la liste régionale.
Dans le Mayo-Tsanaga, la complainte tient en une phrase : «Abdoulaye Marava est connu du sommet du parti, mais la base le cherche encore», entend-on dire ici et là. Rescapé de la liste de Cavaye Yeguié Djibril, beaucoup de ses camarades saluent tout de même «la récompense de toute une vie au service du parti».
Ce qui intrigue in fine, bien plus que les considérations de personnes, c'est la grille appliquée par le RDPC qui a débouché sur l'octroi de deux places au Diamaré sur la liste régionale. D'autant plus que rien ne plaide, si l'on s'en tient aux chiffres, en sa faveur. Il compte moins de Conseillers municipaux en valeur réelle (273) que les Départements du Mayo-Danay (310), du Logone et Chari (300). Si l'on devrait même se référer au dernier recensement démographique, bien que le Sénat représente les collectivités territoriales, le Diamaré, avec une population estimée à 642.227 habitants est moins peuplé que le Mayo-Tsanaga qui affiche au compteur 699.971 habitants... En l'absence de toute logique, beaucoup s'inquiètent ici de la suite, notamment du contingent des Sénateurs que devra nommer le Chef de l'Etat.
«Les sénateurs sont les sénateurs du Président. Il va y nommer qui il veut, et si vous prêtez un peu l'oreille ces jours-ci, certains avancent le nom de Dakolé Daïssala qui n'est pas de notre parti même si c'est un indéfectible allié. On ne peut pas faire de calcul avec le Président, là où le calcul devait être fait, c'est sur la présente liste investie», regrette un Conseiller municipal RDPC du Mayo-Tsanaga.
Certains vont même jusqu'à s'interroger sur l'ordre de la composition de la liste pour fustiger l'inexplicable. Abba Boukar, tête de liste, vient du plus petit des départements de la région -116 Conseillers municipaux seulement.
Si les frustrations sont réelles comme toujours en pareille circonstance, elles ne devraient toutefois pas empêcher le succès de la liste RDPC, quelle que puisse être la concurrence. Et pour cause, sur les 1450 Conseillers municipaux invités à élire les futurs sénateurs, le parti au pouvoir dispose en effet d'un douillet matelas capable d'amortir quelques rancœurs.
«En définitive, c'est une liste moyenne, très moyenne que le RDPC présente dans cette région. Certains diraient même médiocre. Et si c'était une élection directe, elle aurait eu du souci à se faire. Face aux listes d'autres régions, il ne serait pas surprenant que ces futurs Sénateurs jouent les seconds rôles. Ce sont de braves militants, rien de plus», murmure un Président de section.
Nord
Les récriminations sont moins féroces dans la Région du Nord. Déjà, lors du dépôt des listes, la présélection avait consacré le leadership de la Bénoué, que la hiérarchie du parti au pouvoir n'a pas eu de mal à entériner. A l'arrivée, trois candidats sur sept. Il faut reconnaître que dans les faits, la Bénoué écrase les autres départements tant par le nombre de Conseillers municipaux en valeur réelle —362 sur 637— que par la taille de sa population. Sur le choix des hommes, peu à dire. Relevons toutefois que l'homme de la Baraka se nomme ici Bebnoné Payoumi. Originaire de l'Arrondissement de Bibémi et plus grand motoculteur de la région dont le poids est d'ailleurs reconnu à l'international, il aura fallu de discrètes pressions sur Youssoufa Daoua pour que ce dernier l'intègre de justesse dans sa liste.
Des murmures sont également perceptibles dans le Faro, département qui s'est vu octroyer un siège, ¬Dr Ahmadou Alim. Le RDPC, malgré le contrôle des deux communes du département- 46 électeurs réels- n'est pas certain d'y faire le plein de voix chez ses Conseillers municipaux. Ceux de la Commune de Beka, dans l'arrondissement du même nom, protestent déjà contre leur marginalisation. Pour l'unique siège de député du département, son titulaire est originaire de l'Arrondissement de Poli, idem de l'unique membre du Gouvernement, Koumpa Issa, Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de la Défense chargé des anciens combattants. Et voici que le sénateur désigné est encore de la même unité administrative...
«Il y a des frustrations à gérer, raison pour laquelle nous devons être vigilants. C'est la proportionnelle, donc il faut s'assurer que la somme des frustrations ne franchisse pas un certain seuil. Autrement, ceux qu’ils occupent les dernières places sur la liste pourront se faire du souci. La discipline du parti est imposée à tous. Mais, honnêtement, pour beaucoup de Conseillers en fin de mandat, qu'est-ce qu'ils ont à perdre ?», explique un membre du Comité central du RDPC originaire du Mayo-Louti.
Adamaoua
Deux surprises de taille sont à observer sur la liste RDPC de l'Adamaoua. La première est la gifle administrée à l'ex-Ministre du Tourisme, Baba Hamadou, lequel avait sérieusement misé sur ce rebond pour redonner un sens à sa carrière politique. La seconde est l'humiliation infligée au Lamido ¬Maire de Banyo, Mohaman Gabdo Yaya. La hiérarchie du RDPC lui a préféré sa suppléante, Mme Haoua Bang. Il avait choisi cette ex-Présidente de section sur sa liste, de bonnes sources, pour faire de la simple figuration...
«C'est un sérieux coup porté par ses adversaires pour fragiliser son autorité et le moins que l'on puisse dire est que depuis la publication de la liste, elle en a pris un sérieux coup. Ses chamailleries avec Hamadjoda Adjoudji sont connues. Si l'on devait choisir une femme titulaire sur la liste, de nombreuses femmes avaient fait acte de candidature, certaines ont même conduit des listes. Des gens en voulaient personnellement au Lamido, ils se sont organisés pour l'humilier», indique un Conseiller municipal de Banyo. Ses partisans, au collège électoral, pourraient tenter de faire payer cela au parti...