Quotidien Mutations: Haman Mana, Protais Ayangma: La rupture!

Par | Le Messager
- 17-Jul-2007 - 08h30   69446                      
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Le directeur de publication de mutation démissionne de South Média Corporation
Voici l’Editorial censuré à Mutations Mon cher Patrice, Dimanche dernier, à la tombée de la nuit, tu t’es souvenu. Tu t’es souvenu qu’il y a onze ans, par une pluvieuse matinée de juillet et après mille péripéties, toi et moi assistions, fiers de nous, à la parution du tout premier numéro de Mutations dans les ateliers quasi-abandonnés de ce qui était alors le Ceper. Tu m’as donc invité à prendre une bière pour nous souvenir du chemin parcouru, de nos misères et de nos joies. J’ai aimé ton geste sincère. Te souviens-tu ? Notre journal n’avait même pas de siège, et Alphonse prêtait gentiment son salon au bouclage du journal. C’était précaire, mais sans doute tirions-nous de cette précarité la foi, la fougue qui nous faisaient alors courir d’un coin à l’autre de la ville pour collecter, rédiger, imprimer un journal dont le public aimait le ton, la verve et la fraîcheur. Pour les deux premiers numéros, il n’y eut point de problème. J’appelais Douala, on m’envoyait de l’argent pour l’impression et les choses allaient de soi. Puis est arrivé le troisième numéro : j’ai appelé Douala, j’ai annoncé que la morasse attendait pour aller chez l’imprimeur et qu’il fallait de l’argent pour l’impression. La voix au bout du fil m’a sèchement répondu : “ Il n’y a pas d’argent ! Débrouillez-vous ! ” Puis, on m’a raccroché au nez. Je suis resté défait, pensant aux jolis petits articles que nous avions concoctés, et surtout cette “ Une ” affriolante : “ Enquête sur les CV de ceux qui nous gouvernent ”. C’est alors la petite Mireille, à peine sortie de l’école, qui me secoua en me faisant “ Haman, fais quelque chose… C’est toi le patron ! ” Toi Patrice, tu ne t’en souviens peut-être plus. Tu m’amenas voir Vito, grand patron alors de la distribution de journaux dans la ville de Yaoundé. Il avança de quoi imprimer le journal et cette édition, comme les autres, fut imprimée. Par la suite, je n’appellerai plus jamais Douala pour les frais d’impression. On se débrouillera véritablement, on nous l’avait suggéré : emprunts dans les tontines de quartier, chez les usurières sordides, rations de nos femmes (toi tu étais encore célibataire), “ dépannages ” de sympathisants, tout y passa. Mais une chose est sûre, le journal était imprimé et les journalistes acceptaient, avec bon cœur, leur “ epsi ” de 50 000 Fcfa. Tu veux rire ? Je te parlerai alors de nos premiers bureaux, “ la chambre ” de deux mètres sur trois chez le Chypriote Antoniades… Tu te souviens du Blanc qui, plus affamé que nous, te faisait : “ Patrice, donne-moi 25 F pour la bouillie… ” Comme quoi c’était précaire, mais il y avait plus précaire encore. Les temps étaient durs. Nous sommes partis de rien. Mais le temps passait, et on se nourrissait de l’euphorie procurée par la parution de chacun de nos numéros, qui était un mini événement. Souvent, lorsque les journalistes travaillaient, il n’y avait que toi et moi qui savions que l’argent n’était pas encore disponible pour l’impression. C’était alors à qui trouverait la ruse manœuvrière pour imprimer le journal. Il nous est arrivé d’aller subtiliser des paquets de journaux à l’imprimerie de M. Mveng pour les mettre sur le marché, quitte à revenir payer en nous excusant la semaine d’après. Là, c’est ta “ formation ” de mauvais garçon d’Etoa-Meki qui nous tirait d’affaire. Aujourd’hui, lorsque je vois le quotidien, l’hebdo et le mensuel, je me demande comment nous avons fait pour réaliser tout cela. Je me souviens comment, à marche forcée, nous avons convaincu Douala qu’il était temps de passer au bi-hebdo. On nous disait : “ Vous êtes sûrs de votre affaire ? On ne va pas se casser la gueule ? ” Pour passer au quotidien, ce fut bien pire encore : “ Vous savez ce que c’est qu’un quotidien ? Vous avez les fonds nécessaires ? En tout cas, il ne faut pas compter sur moi… ” A chaque fois, il y avait face à face la prudence, compréhensible d’un homme d’affaires et la folie des journalistes. Sans fonds de roulement aucun, nous passâmes quotidien et la mayonnaise prit. Nous voilà “ le premier quotidien privé du pays et même de la sous-région ”. Et Situations alors ? Mêmes réticences, mêmes résistances. On a fini par lancer, sans siège, sans ordinateur (Hugo, le monteur, prêtait aimablement le sien, une panne de courant l’a bousillé). Mais les choses semblent marcher, le journal poursuit “ crânement son petit bonhomme de chemin ”. Mon cher Patrice, T’es-tu un jour demandé ce qui faisait marcher un journal ? On parle beaucoup de millions ces derniers temps. Certains hommes d’argent ont fait des mises vraiment sérieuses en millions, pour lancer des groupes de presse, à Douala. Mais cela n’est jamais allé bien loin… D’ailleurs, toi qui lis beaucoup, tu dois l’avoir vu quelque part : lorsqu’un grand capitaine d’industrie veut se lancer dans la presse, il met sur pied, au départ, des conditions différentes de celles que nous avons connues. Qu’importe ! Nous sommes là et nous tenons. Tu connais ma nullité. Mais je crois savoir qu’au fond, ce qui fait marcher un projet rédactionnel, c’est la force du concept, l’adhésion des hommes autour d’un leader et celle du lectorat. Nous étions partis pour faire un petit hebdomadaire en tabloïd, il y a onze ans. Aujourd’hui, nous avons pu faire un quotidien, un magazine hebdomadaire et un mensuel. Ces trois titres ont chacun son lectorat, ses annonceurs. Ils sont au sommet de la galaxie médiatique de notre pays, chacun dans son créneau. Onze ans après. Dans un contexte rude et aride. Un journaliste n’est sans doute pas forcément un bon manager. Mais un bon journaliste peut avoir le flair et la vista qui permettent de fédérer des intelligences et créer des titres, de la célébrité qui retombe sur beaucoup de personnes. Notre salle de rédaction a servi de porte-avions aux nombreux Exocet qui filent dans le ciel de la com’, des médias, et même de la haute administration : Emmanuel Mbédé, Mireille Bisseck, Alphonse Ateba Noa, Yves Atanga, Stéphane Tchakam, Bouba Kaélé, Thierry Ngogang, Chetah Bile, Aimé Robert Bihina, mais aussi Fabien Nkot et j’en oublie certainement. Tous se souviennent certainement d’avoir partagé dans cette salle de rédaction où il régnait la bonne humeur nécessaire à la création, un bon mot, un livre intéressant, un titre qui bande, une chute qui désarçonne, un angle d’attaque, autant de petites clés qui leur permettent aujourd’hui de relever leurs nouveaux défis. Nous avons partagé notre savoir-faire, sans compter. C’était cela le viatique, le souffle qui faisait marcher les choses, au-delà de ces millions qui sont la rengaine d’aujourd’hui… On nous parle de management ? Nous parlons de leadership. On nous parle de gestion ? Nous parlons de vision. On nous parle de fiction ? Nous parlons de réalisation. Mon cher Patrice, Il était bon que nous partagions ce que je viens de te dire. Parce que je reste convaincu qu’un journal, c’est une folie, c’est un rêve, c’est un peu plus complexe qu’une épicerie, où en faisant les comptes, à la volée, on ne retrouve pas une boîte de sardines, il manque un paquet d’allumettes… Je ne te dis pas bonne nuit parce que je sais que, lorsque nous dormons, tu luttes avec l’odeur de l’ammoniac des ateliers afin que paraisse le journal. Il parait que c’est la fin de la récréation. C’est sans doute aussi celle de la création ? Par Haman Mana Protais Ayangma Amang: Pca de South Media Corporation Il se dit surpris par la décision de Haman Mana de quitter South media Corporation (société éditrice du quotidien Miutations). “ Mutations appartient à South media corporation ” Haman Mana, directeur de publication de Mutations vient de claquer la porte de South media Corporation. Quelle est votre réaction ? J’ai été informé ce matin (hier Ndlr) de la tenue de la conférence de presse de M. Haman Mana. J’attendais d’avoir le contenu des déclarations de cette conférence de presse pour me situer. Mais, je suis tout de même un peu surpris de la méthode. J’ai reçu un Sms de l’intéressé qui me disait que la conférence de presse porterait sur la situation actuelle de l’entreprise. Ce qui était somme toute normal. Ce n’est qu’après, que j’ai appris qu’il s’agissait d’une démission. Pour l’instant, je prends cela comme tel. Il est officiel maintenant que M Haman Mana a quitté la South Media Corporation. Avez-vous pris des mesures conservatoires pour que l’entreprise continue de fonctionner normalement ? La South media corporation est une société. Et toute société doit pouvoir survivre à ses dirigeants, quels qu’il soient. Y compris moi-même. Il n’y a pas de mesures conservatoires à prendre, tout au moins pour ce qui est de Mutations. Il y a un directeur de la rédaction qui doit pouvoir assurer tout à fait normalement le fonctionnement du journal. D’ailleurs, j’ai appris que la conférence de rédaction de ce matin (hier Ndlr) s’est tenue normalement. Je suppose que malgré cette situation, la rédaction va continuer à faire son travail. Comment est-ce que Mutations en arrive-là aujourd’hui ? Pourquoi votre directeur de publication peut-il claquer aussi bruyamment la porte ? Il ne faut pas non plus dramatiser. Une démission dans le monde de l’entreprise est à la limite, quelque chose de tout à fait normal, banal même. Mais, il se trouve que nous sommes dans un secteur particulier qui est la presse. Et il s’agit de Mutations, un titre qui est sur le marché depuis onze ans. Je n’ai pas eu l’honneur de discuter avec l’intéressé de son départ brusque. Mais je pourrais peut-être le situer. Il y a trois semaines, nous avons tenu un conseil d’administration extraordinaire avec un seul point à l’ordre du jour : la restructuration de la société. Nous n’étions pas du tout d’accord sur un certain nombre d’options et d’orientations. Malheureusement, et c’est la loi des sociétés, Haman Mana a été mis en minorité. Et on a donc commencé à dérouler les mesures adoptées lors de ce conseil. Parmi celles-ci, il y avait l’autonomisation des titres, le renforcement de l’administration pour sécuriser nos recettes et maîtriser nos charges parce qu’un récent audit a révélé un certain nombre de dysfonctionnements qu’il fallait absolument corriger. Et en tant que responsable de la société, il me revenait de tirer les leçons de cet audit pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise. Vous parlez de problèmes de gouvernance. Pourtant Haman Mana les conteste. Il a même appelé à un débat public sur le financement de Mutations et sur la gestion financière incriminée. Il évoque une chasse aux sorcières… Lorsque je parle de dysfonctionnements, il ne s’agit pas seulement de la situation financière. Il s’agit de la situation du journal tout court. Et là, il y a deux volets : le côté éditorial et le volet administratif et financier. S’agissant du volet éditorial, un certain nombre de dérives ont été relevées par rapport à notre charte éditoriale et notre code éthique. Sur ce plan, des mesures ont été prises, notamment le renforcement des missions du comité éditorial. Une sorte de conseil des sages doit être mis en route pour évaluer le travail des journalistes. Car à l’occasion de cette restructuration, nous devons être obligés de nous séparer de quelques-uns de nos collaborateurs. Il se trouve que cette tâche a été laissée au responsable de publication et les échos qui me sont parvenus laissent apparaître que ce ne sont pas forcément les moins bons qui sont partis. Côté financier, l’audit a malheureusement démontré que tous les fonds de la société ne rentraient pas dans les caisses. Pour un certain nombre de raisons qui vont du laxisme à l’absence de procédures claires. L’un des axes de cette restructuration était non seulement de séparer la gestion financière du métier de journaliste en mettant à la tête une personnalité qui ne serait pas à la remorque du directeur de publication et qui devait veiller à la sécurisation des recettes et à la maîtrise de la dépense et également à la direction commerciale, une équipe chargée de la recherche de nouvelles opportunités de financer nos publications. Il n’y a pas eu de chasse aux sorcières parce que les faits sont constants. Et il avait été décidé que ce n’est pas le passé qui est important, mais l’avenir. Il s’agissait de mettre en place des règles claires. Et nous, au niveau du journal, on devait se donner des moyens pour les mettre en œuvre. Parce que c’est un peu aussi de ma responsabilité de n’avoir pas mis en place tous les outils de contrôle. C’est sans doute le début de la mise en place de ces mesures qui a commencé à gêner. On parle aussi d’un éditorial de Haman Mana qui aurait été bloqué par des journalistes. Editorial dans lequel il tentait de répondre à des accusations que vous auriez, lundi 9 juillet, proféré à son endroit… J’ai effectivement entendu ça aussi. Ceux qui me connaissent savent que je n’interviens jamais, au grand jamais, ni avant ni après dans la confection du journal. C’est un de vos confrères qui m’a effectivement informé qu’il semblerait que ce soit cette “ censure ” qui soit à l’origine de ce départ. Non seulement je n’ai pas vu cet éditorial, mais je n’ai pas l’habitude de voir les papiers avant leur publication. Mais ça m’étonnerait que ce soit seulement cela vu que depuis ce matin, je reçois des sommations d’huissiers qui montrent bien que ce n’était pas seulement l’éditorial qui était en cause. On voit que le conflit risque de se judiciariser. A qui finalement appartient la publication Mutations au regard de la loi ? Mutations appartient à la South media Corporation qui est une société anonyme. Dans une société anonyme, personne ne peut venir vous dire que cette ceci ou cela m’appartient. Les biens appartiennent à la communauté des actionnaires. Ce patrimoine est là éventuellement pour faire face aux dettes de la société. Je suis surpris que des personnes revendiquent comme par hasard aujourd’hui la propriété de Mutations. Mais comme il s’agit d’un problème juridique, le cas échéant, il appartiendra à la justice de l’arbitrer. Mais je peux vous dire que les titres appartiennent bien à la South media corporation. Il suffit de lire l’ours des publications pour s’en convaincre. Entretien avec Thierry Ndong et Yves Djambong




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