L’ex directeur général du Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic) séjourne depuis hier dans les locaux de la division de la police judiciaire pour le Littoral. Les employés de cette société jubilent.
Quinze heures quarante, mercredi 7 mai 2008. Une voiture (VX) immatriculée LT 02569 entre dans la cour principale de la division de la police judiciaire du Littoral à Douala. A l’intérieur du véhicule, cinq personnes parmi lesquelles Zacchaeus Njorjidam, l’ex directeur général du Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic). Dans un costume sombre, l’homme esquisse un léger sourire, tout en manipulant son téléphone portable. Après l’entrée du véhicule, quelques policiers en civil referment immédiatement le portail, bloquant au passage les usagers.
Dix minutes plus tard, une Toyota de marque Avensis s’immobilise de l’autre côté de la route. La portière s’ouvre. Une femme bien parée en sort. Encadrée par deux policiers, elle traverse élégamment la route. Une fois dans la cour de la division provinciale de la police judiciaire pour le Littoral, elle est conduite tout droit vers le bureau du patron des lieux. Il s’agit de Mme Njoh Rose, directrice administrative et des ressources humaines du Cnic. Le portail de la Dpjl s’ouvre et se referme derrière elle. « C’est deux gros poissons qu’on vient de prendre… », lance un officier de police à quelques curieux déjà massés devant les locaux de cette unité de police.
Conseil d’administration
Quelques minutes plus tôt, au siège du Cnic à Bonabéri, un conseil d’administration extraordinaire vient de mettre un terme aux fonctions de Zacchaeus Nforjidam comme directeur général. Il est remplacé par Antoine Bikoro Alo’o. L’information se répand comme une traînée de poudre. Les employés délaissent les ateliers pour s’assembler devant l’entrée principale de la direction générale.
« Je vais croire en cette information lorsque je vais le voir sortir d’ici. Vous ne pouvez pas vous imaginer la joie que j’ai dans le cœur. Ce type nous a tyrannisé pendant vingt ans. Enfin ! Nous sommes libres… », jubile un employé. Celui-ci dit avoir subi plusieurs fois les sanctions de l’ex Dg. Les employés, massés devant l’entrée principale de la direction générale, ne voilent pas leur joie. Ils entonnent la chanson « Liberté » de Anne Marie Nzié. Le couplet est repris par tout le monde : « Nous sommes enfin libres, oh mon Dieu merci…Le peuple de Dieu est enfin libre… Dieu a affranchi les enfants d’Israël ».
Les employés ne se font pas prier pour égrener des récriminations qu’ils imputent à l’ex Dg : brimades, confiscation des gratifications dues aux employés, favoritisme, corruption, etc. La directrice administrative et des ressources humaines, Mme Njoh, est aussi dans le viseur du personnel. « Elle se croyait tout permis Ici. J’espère aussi que c’est la fin pour elle… » Rentrée chez elle dès l’annonce du conseil d’administration extraordinaire, un agent de police en civil serait allé l’interpeller à son domicile pour la ramener au Cnic. Et à son entrée, elle a été huée par le personnel en colère.
Régler son compte
L’effervescence atteint son comble lorsque le nouveau directeur général par intérim se présente devant les employés pour les exhorter à rentrer reprendre le travail dans les ateliers. Il est porté en triomphe sur une dizaine de mètres. Son message ne trouve pas un écho favorable. Les employés sont décidés à en découdre avec l’ex Dg, toujours présent dans son bureau. « Qu’il sorte, nous allons lui régler son compte », entend-on dans la foule. La forte présence des policiers et gendarmes ne dissuade personne. Le défi pour les responsables des forces de maintien de l’ordre est de trouver une astuce pour « exfiltrer » l’ex Dg. La stratégie est trouvée.
Policiers et gendarmes présents initient un plan consistant à attirer l’attention des employés vers l’arrière cour de l’entreprise. En moins de cinq minutes, la VX bleue transportant Zacchaeus Nforjidam sort en trombes par une porte dérobée, pour la division provinciale de la police judiciaire pour le Littoral. Quelques employés présents à cet endroit ont néanmoins eu le temps de huer celui qui a régné en maître à la tête du Chantier naval et industriel du Cameroun depuis 1988. Pour eux, une nouvelle ère s’ouvre.
Léopold CHENDJOU
Ennuis judiciaires
Depuis la fin de l’année 2007, l’ex directeur général du Cnic est régulièrement visible dans les locaux de la division provinciale de la police judiciaire du Littoral.
L’arrestation de Forjindam était préparée
L’interpellation de Zacchaeus Mungwe Forjindam en milieu d’après-midi hier, mercredi 7 mai, par des éléments de la division provinciale de la police judiciaire pour le Littoral (Dppjl), est l’aboutissement de la première phase de l’enquête ouverte contre lui vers la fin de l’année dernière. C’est le 28 décembre 2007 que Zacchaeus Mungwe Forjindam a été entendu pour la première fois dans les locaux de la police à Douala. Une audition instruite par le Parquet du tribunal de grande instance du Wouri (Tgi), dans les services de la Dppjl, au quartier Bonanjo. L’audition est conduite par une équipe d’enquêteurs dirigée par le chef de la Dppjl en personne, le commissaire de police principal Vincent Minkoa Nga.
Requis par le procureur de la République près le tribunal de grande instance du Wouri, les fins limiers de la police interrogent Zacchaeus Mungwe Forjindam sur sa gestion du Cnic ces dernières années. Selon des sources dignes de foi, tout est parti d’un rapport de dénonciation déposé au Parquet du Tgi du Wouri par le commissaire aux comptes du Cnic. A la suite d’un audit commandé par les actionnaires du Cnic. Pour ceux-ci, conduits par la Société nationale des hydrocarbures (Snh), les graves manquements managériaux, les nombreuses erreurs de gestion et les importants trous financiers révélés par l’audit, sont la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Surtout que, ces actionnaires, Adolphe Moudiki, le directeur général de la Snh en tête, avaient toujours attiré l’attention de Zacchaeus Mungwe Forjindam », révèle une source au Cnic.
Mis à l’étroit
Quelques jours (le 31 décembre 2007) après sa première audition à la Dppjl, Zacchaeus Mungwe Forjindam perd une bonne partie de ses prérogatives de directeur général du Cnic. En effet, sur proposition du conseil d’administration, Antoine Bikoro Alo’o est nommé directeur général adjoint (Dga) du Cnic, spécialement chargé de la gestion financière de l’entreprise. Avant l’arrivée de cet ancien cadre de la Snh au poste de Dga du Cnic, cette structure n’avait jamais eu, depuis sa création en 1988, un Dga. Le nouveau directeur général adjoint du Chantier naval et industriel du Cameroun prend officiellement ses fonctions mercredi 16 janvier, au cours d’une cérémonie au club du Port autonome de Douala (Pad) à Bonanjo. Son installation est présidée par le ministre des Transports, Gounoko Haounaye. Celui-ci rappelle au nouveau Dga sa principale mission : la gestion financière et comptable du Cnic.
Zacchaeus Mungwe Forjindam est mis à l’étroit et répond régulièrement aux convocations de la police. « Au cours des mois de janvier et février 2008, il est venu dans nos locaux au moins dix fois pour des auditions », confie un policier en service à la Dppjl. Et chaque fois qu’il s’y rendait, l’on se disait qu’il serait retenu mais, il retournait chez lui après audition. Pendant que se déroulaient les enquêtes au niveau de la police, il y avait eu des fuites ; des procès-verbaux de l’audition qui s’étaient retrouvés dans certains médias. Pour ce grave manquement professionnel, plusieurs policiers en service à Douala avaient été sévèrement sanctionnés par la hiérarchie policière.
A en croire nos sources à la Dppjl, les enquêtes dans le cadre de la gestion du Cnic ayant été bouclées depuis belle lurette, Zacchaeus Mungwe Forjindam pourrait ne pas passer plusieurs jours dans les locaux de la police avant d’être présenté à un juge d’instruction au Tgi du Wouri. On attend…
Honoré FOIMOUKOM
Société – Opération Epervier
Le nom de Zacchaeus Mungwe Forjindam avait fini par s’accommoder à celui de l’entreprise qu’il dirigeait depuis une vingtaine d’années, loin des nombreux regards.
Dans les dédales du Chantier naval
Ça y est. Zacchaeus Mungwe Forjindam a été déchargé de sa fonction de directeur général (Dg) du Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic). La nouvelle est tombée comme un couperet au terme d’un conseil d’administration express tenu au siège social de la société en zone amont du Port autonome de Douala hier, 7 mai 2008. A l’analyse du communiqué lu à la Crtv radio à 13h et signé de Louis Paul Nyassa, président du conseil d’administration du Cnic, le limogeage de Zacchaeus Mungwe Forjindam aurait été le seul point inscrit à l’ordre du jour. Selon certaines indiscrétions, le Dg du Cnic aurait été surpris par ce conseil d’administration extraordinaire. C’est tout dire.
En effet, l’atmosphère au sein de cette entreprise était déjà lourde depuis juillet 2006 après que le conseil d’administration a retiré sa confiance au Dg du Cnic. Mais Zacchaeus Mungwe Forjindam, fort de ses parapluies et godasses dans l’appareil de l’Etat, a résisté jusqu’à la nomination en janvier 2008 de Antoine Bikoro Alo’o au poste de directeur général adjoint, poste existant depuis la création du Cnic mais resté vacant.
A en croire des sources internes, le Chantier naval et industriel du Cameroun était devenu un gouffre à sous. Un nid de jeu astucieux d’écritures comptables, de marchés fictifs, de prestations surfacturées ne profitant qu’aux copains et coquins ou aux parents, d’abus de biens sociaux, de distraction de fonds, etc.
Parmi les zones d’ombre qui émaillent la gestion du Cnic par Zacchaeus Mungwe Forjindam, il y aurait des transactions financières non homologuées par le conseil d’administration. L’on cite, entre autres, l’acquisition par le Cnic d’une grue flottante à 1,9 milliard Fcfa et dont une vulgaire panne aurait coûté presque autant à l’entreprise. Il y aurait aussi l’acquisition de la société Union des industriels camerounais (Uic), ex filiale de la multinationale Bouygues offshore.
« Jack Bower » est là !
A la vérité, la gestion du Cnic par Zacchaeus Mungwe Forjindam était dans l’œil du cyclone. La nomination de Antoine Bikoro Alo’o (un cadre de la Société nationale des hydrocarbures, actionnaire majoritaire du Cnic) au poste de Dga en charge de la gestion financière en est une preuve. Dès lors, le pouvoir de Zacchaeus Mungwe Forjindam est allé s’aménuisant. Antoine Bikoro Alo’o jette aussitôt et discrètement ses filets dans la mer. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Au bout de quelque temps, un camion de matériaux de construction est interpellé à la sortie du Chantier naval et industriel du Cameroun. Interrogé, le chauffeur du camion lâche le morceau. « Le matériel va chez Madame », aurait-il confié aux enquêteurs.
Selon des sources internes, « Madame » c’est le petit nom donné par les employés à la directrice administrative et des ressources humaines (Darh). Une filature aurait permis de découvrir le pot aux roses. Il semble que la Darh du Cnic, Rose Njoh Moudio, plusieurs chantiers dans la ville de Douala, notamment à Bonaberi et à Makepe (Rhône Poulenc). Ici et là, l’on aurait retrouvé divers matériaux de construction appartenant au Cnic ainsi que des ouvriers qui émargeraient dans le budget du Cnic alors qu’ils n’y travaillent jamais.
La suite des enquêtes aurait conduit à un réseau d’environ 250 fausses cartes de pointage avec des noms fictifs d’employés d’une masse salariale d’environ 29 millions Fcfa par mois. Depuis deux mois, ces salaires cherchent désespérément preneurs et sont en souffrance au Cnic. Des sources internes indiquent également que chaque mois, un budget de 30 millions Fcfa était alloué à l’infirmerie du Cnic réputée délivrer des ordonnances parce que l’on n’y retrouve que du paracétamol. Les mêmes sources affirment que les deux restaurants du Cnic établis sur deux sites différents appartiennent à la Darh qui obligeait les employés à y manger malgré la mauvaise qualité de la cuisine. Il lui revenait aussi l’organisation des fêtes du travail, de l’arbre de Noël, de prêt scolaire, et des fêtes internes. A propos de la fête du travail, nos sources au Cnic soutiennent que le pagne de la société aurait été au nom du fils de la Darh, âgé d’environ 16 ans et qui fréquenterait un lycée de la ville de Douala.
Dans l’ensemble, les employés interrogés par Le Messager reprochent à Zacchaeus Mungwe Forjindam son manque de dialogue. Ils lui reprochent également d’avoir laissé le Cnic entre les mains de la Darh qui en était devenue le centre du pouvoir de décisions. « A titre d’exemple, à la veille de la fête du 1er mai que nous venons de célébrer, le Dg a signé une note que les employés devaient avoir deux pagnes chacun. Mais la Darh a décidé de n’en donner qu’un seul pagne par employé », précise une source interne.
D’autres cas de l’expression du « pouvoir suprême de la Darh » sont évoqués. « Elle a licencié récemment tous les employés qui ont dénoncé ses multiples malversations où témoigné contre elle. Heureusement que le Dga a annulé tout ça », confie une autre. Elle poursuit : « Depuis que le Dga est arrivé ici, le Cnic a une vie à double vitesse. Il a fermé toutes les vannes de vol au Cnic. Il discute avec nos délégués du personnel pour savoir ce qui va et ce qui ne va pas. Chaque fois qu’il est au courant d’un problème au Cnic, il y apporte une solution ou fait des promesses. C’est notre sauveur. Nous l’avons surnommé « Jack Bower ». » Maintenant qu’il a presque les pleins pouvoirs, les fruits tiendront-ils la promesse des fleurs ? Wait and see.
Noé NDJEBET MASSOUSSI