L’engouement manifesté par les Camerounais lors des premières journées des matériaux locaux nous a amené à aller requérir l’avis d’un spécialiste en la matière. M. Laurent Mbumbia travaille depuis dix ans sur les matériaux locaux dans notre pays. Il est aujourd’hui chercheur au Département de Génie Civil à l’UCL ( Université catholique de Louvain) en Belgique. Malgré son emploi du temps assez chargé, il a bien voulu répondre à nos questions.
Cameroun-info.net: M. Laurent Mbumbia, merci tout d’abord de nous accorder cette interview qui sera sûrement d’une grande utilité pour nos lecteurs.
Le Cameroun vient de vivre ses premières journées nationales de matériaux locaux. Pouvez-vous nous dire quelle définition peut-on donner à ce concept qui paraît si évident et complexe et plein d’ambiguïté ?
Laurent Mbumbia:Il est très difficile de donner une définition unique au terme de matériau local. On peut lui attribuer plusieurs définitions selon le point de vue que l’on adopte. Convenant tout de suite que nous parlons bien de matériau local de construction. A propos, nombreux sont ceux qui réduisent ce concept à quelques produits à base de terre ou de bois tels que la brique de terre, la tuile, le bois utilisé en construction, cette vision simpliste et réductrice limite la gamme de matériaux à même d’être utilisés en construction et que l’on pourrait appeler à juste titre matériaux locaux de construction. Disons que la notion de local est par nature relative et révisable d’un pays à un autre, parfois d’une zone à l’autre au sein d’un même ensemble géographique. On peut par exemple fabriquer un produit dans un pays mais la matière première nécessaire à sa fabrication est importée. Tout comme la matière première peut être du même pays, mais la distance et les conditions de transport de celle ci des sites d’exploitation vers les lieux de transformation grèvent les coûts, et par suite les prix des produits dérivés.
On peut aborder le concept de matériau local de construction sous plusieurs angles : géographique, technique, économique, sociale, culturelle, écologique.
Sur le plan géographique, le matériau local est celui dont la matière première est exploitée et transformée au moins partiellement en produit semi-fini dans une aire géographique locale de rayon raisonnable, et dont la transformation complète en produits finis a lieu dans l’aire géographique couvrant sa zone de marché. Cette définition permet de s’affranchir des frontières artificielles qui existent entre des territoires, et valoriser ainsi d’une part les échanges entre des dynamiques d’entités voisines, et d’autre part le potentiel des ressources naturelles susceptibles d’être utilisées pour la production des matériaux de construction.
Sur le plan technique, le matériau local est celui qui possède des performances acceptables en rapport avec la destination et la mise en œuvre du produit fini. L’élément important de cette définition réside dans la notion de performance. Celle ci favorise l’introduction des matériaux de construction nouveaux ou améliorés. Ici, la priorité doit être donnée à la détermination, parmi les besoins de l’usager, de ceux que doivent satisfaire les produits. Autrement dit entre acteurs, il convient de définir des gammes de performances acceptables spécifiés pour un produit. La gamme de performance peut permettre au fabricant (artisans, PME, industriels) soit de fabriquer un produit selon les exigences minimales, soit de faire un produit de qualité différente soit encore de limiter sa production à celle la plus demandée du produit dans sa zone de marché.
Sur le plan économique, le matériau local est celui qui permet de réaliser les économies des devises à l’échelle du pays, ou alors celui dont le rapport qualité prix est raisonnable et acceptable pour la majorité des consommateurs potentiels. Le matériel local serait donc celui dont le coût de production est le plus réduit possible (faible consommation d’énergie importée entre autres) et le produit de ventre raisonnable.
Sur le plan social, le matériau local est celui qui procure des revenus aux gens qui travaillent la matière première de la localité (pays, région, ville, etc…). Cette définition permet de briser les barrières qui existent entre les catégories de produits finis et accorder plus d’importance au facteur travail et donc humain. Autrement dit, que les produits finis soient d’origine industrielle, artisanale ou faits à la main, ce qui compte c’est le fait que la transformation de la matière première locale procure des revenus aux gens.
Sur le plan culturel, le matériau local est celui dont le processus de transformation de la matière première en produit fini et la mise en œuvre sont maîtrisables par les gens qui ont reçu une formation locale minimum à ce sujet. Cette formation se faisant par le biais des canaux institutionnels ( écoles, centres de formation et d’apprentissage, entreprises) ou sur le tas (transmission du savoir-faire par lignage familial ou par le tâcheron le plus ancien dans le métier).
Sur le plan environnemental, le matériau local est celui dont l’exploitation des gisements de matières premières ne provoque pas les grands déséquilibres écologiques du milieu environnemental.
Cameroun-info.net : : Nous avons observé un engouement réel des Camerounais vis-à-vis de ces journées. Le grand public qui s’est déplacé en nombre à l’Hôtel de Ville de Yaoundé avait deux questions récurrentes. La première est celle de savoir si dans les réalisations dites modernes, l’utilisation des matériaux locaux est plus économique, la seconde est celle de savoir si elles sont fiables ?
Laurent Mbumbia : Encore une fois, de quels matériaux locaux faites-vous allusion ? S’il s’agit des produits comme les briques (briques de terre stabilisée au ciment, briques de terre cuite) et tuiles en vibro-ciment ou en argile, alors je vous dirai ceci :
- Au plan de la fiabilité, on ne saurait à l’heure actuelle se prononcer rigoureusement sur la qualité de ces produits car il n’est pas encore de normes camerounaises publiées sur ces produits. Or, c’est bien la norme qui garantit que le produit mis sur le marché respecte un cahier de charges spécifique qui a pour but de protéger le consommateur. Un des problèmes majeurs réside à ce niveau là. On peut observer ces dix dernières années que les constructions privées réalisées entièrement ou partiellement avec ces produits connaissent de légères dégradations. Celles-ci peuvent être le fait d’une qualité médiocre des produits finis au départ, ou d'une mise en oeuvre en construction ratée, ou encore une mauvaise protection par rapport aux agents atmosphériques. La publication des normes nationales devient un impératif pour le succès de ces matériaux locaux en construction.
- Au plan de l’économie, qu’apporte l’introduction de ces matériaux en construction ? Disons que tout dépend des filières d'approvisionnement ou de fabrication des produits finis, de la proximité de leurs points de vente dont les coûts de transport pèsent sur l'enveloppe du chantier, et de l'expérience de la main d’œuvre. En prenant par exemple le cas de la réalisation des murs d’un bâtiment courant (Rez + l dans, la ville de Yaoundé, si l'on fait l'hypothèse sur des conditions égales d'approvisionnement et de mise en oeuvre suivant la filière de la petite production marchande, on peut dire de façon approximative que le coût au m² du mur en parpaings de sable/ciment est moitié prix celui du même mur en brique de terre cuite et est supérieur de 20 % du même mur en briques de terre stabilisée au ciment. En revanche, si l'on opte pour la filière auto production/autoconsommation où les gens construisent eux-même avec des matériaux fabriqués personnellement sur le site de leur propre chantier, le m² du mur construit en briques de terre cuire devient le plus économique. Son coût passe au tiers- de celui en parpaings de sable/ciment, et est légèrement inférieur à celui en briques de terre stabilisée au ciment. Quant aux toitures réalisées en tuiles, leur coût reste encore légèrement supérieur à celles réalisées avec les tôles aluminium courantes, probablement à cause de la surestimation des bois de charpente dans le premier cas due au manque de formation à l'évaluation des quantités réelles de bois nécessaire par les charpentiers couvreurs.
Cameroun-info.net : : Est-ce qu'au Cameroun, il y a une évolution dans les techniques de fabrication des matériaux locaux ?
Laurent Mbumbia : Très certainement, En effet, pour ce qui concerne les briques de terre
cuite ou stabilisée au ciment, les tuiles en argile cuite ou en vibro-ciment, on dénombre une
cinquantaine de PME de production à travers le territoire national. Celles-ci produisent avec des équipements soit importés soit fabriqués localement suivant des prescriptions techniques propres aux fabricants des machines. D'où la diversification des dimensions pour un même type de produit fini, Cet effort d'équipement en machine constitue une avancée dans la démarche vers la qualité et une évolution dans le processus de la maîtrise technologique. Ce qui mérite d'être fait c'est la mise au point à l'heure actuelle d'un observatoire sur les matériaux locaux de construction. Un tel outil permettrait le suivi et la capitalisation de ces expériences émergentes tout en formulant au fur et à mesure des recommandations pour la remédiation aux problèmes qui se posent : c’est le processus même de l'appropriation et de l'accumulation culturelle de ces technologies (techniques et pratiques) anciennes, abandonnées par- effet de culture, de faible rendement économique ou de non-durabilité à l'époque, qui, avec les découvertes fondamentales et technologiques d’aujourd'hui, pourraient reprendre vie et avoir un développement réel et efficace.
Cameroun-info.net : : En tant que spécialiste travaillant dans le domaine depuis une dizaine d’année, les matériaux locaux ont-ils un lendemain dans notre pays ?
Laurent Mbumbia : Je dirai même mieux. Le succès de notre pays dans sa lutte contre la pauvreté dépendra dans une large mesure de la manière dont la question des matériaux locaux sera articulée dans ses rapports avec l’économie et la société. La mise au point d'un cadre de référence de classification des matériaux en matériaux locaux de construction suivant des critères de performance physiques et techniques, des critères économiques des critères socioculturels et des critères géographiques et environnementaux constituera un outil d'aide à la décision. If est urgent d'organiser un véritable débat sur cette question des locaux de construction qui pourrait déboucher sur des choix technologiques à même de relancer l'économie du pays, et soutenir son effort vers le progrès.
Cameroun-Info.net : : Au niveau des pouvoirs publics, existe-t-il une politique des matériaux locaux ?
Laurent Mbumbia : Oui. L’Etat s’est doté des structures qui s'occupent de promouvoir les matériaux locaux. Il s'agit de la Cellule des Etudes au sein de la Direction de l'Architecture et de l'Habitat au Ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat et la mission de Promotion des matériaux (MIPROMAL)