La guerre larvée s’est déportée vers la chefferie, désormais bicéphale. Les deux parties s’accusent mutuellement de menaces diverses.
Leadership
Querelle entre les enfants du Sultan Njoya
Adamou Ndam Njoya et "ses cousins" du palais royal s'affrontent pour le contrôle de la chefferie Njinka.
L'altercation qui s'est produite au soir du 03 février dernier entre des policiers et des populations de Njinka, est le dernier épisode d'une longue série d'affrontements entre la famille royale de Foumban et les Njimonkouop, l'un des plus importants foyers de tout le pays bamoun. Ce jour là en effet, au siège de la préfecture du Noun à Foumban, le préfet du département, Bekono Mama, a procédé à la désignation du chef de groupement de Njinka qui est situé à quelques encablures de Foumban. Adamou Ndam Njoya, qui comptait être reconnu de manière officielle comme chef de ce groupement, a assisté à ce qu'il considère comme une falsification de l'histoire.
"Le préfet a appelé les chefs à tour de rôle dans son bureau alors que ceux -ci avaient demandé un vote public. Quand il en est ressorti, il a dit Mombet : 16 voix, Adamou Ndam Njoya : 3 voix. Il n'y a pas eu élection, mais je reste au regard de la tradition le chef du groupement Njinka, le reste concerne l'administration", témoigne Adamou Ndam Njoya. Pour lui, en réalité, Ibrahim Mombet, n'est que l'arbre qui cache les manigances du Sultan des Bamoun, Ibrahim Mbombo Njoya pour l'empêcher de retrouver officiellement son siège. Rabiatou Njoya, soeur du Sultan, est à la limite de l'indignation quand elle écoute cette accusation. Pour elle, Adamou Ndam Njoya tient sa popularité dans le pays bamoun de pratiques occultes et le revers que constitue la non-élection du 03 février dernier, l'aurait mis dans une colère. "Chez nous les Bamoun, explique-t-elle, on ne vote pas le chef. On a fait des consultations conformément aux traditions et aux textes de la République. Et avant de venir à la séance publique on savait déjà quel était le résultat".
Les fils de l'histoire de la succession à la tête de la chefferie du groupement Njinka sont en réalité tellement entrelacés que pour démêler cet écheveau, il faudrait remonter à... 1947. Arouna Njoya, père d'Adamou Ndam Njoya, élu à l'Assemblée représentative du Cameroun (Arcam) et au Sénat français, doit séjourner longtemps hors de son Njinka natal où il est à la fois chef du groupement depuis la mort de son père en 1929, et chef de la famille Njimonkouop qui tient ce centre de pouvoir depuis la colonisation française. Les Njimonkouop sont aussi connus pour avoir sauvé la dynastie de Ncharé Yen du naufrage, en défendant le premier Sultan, Njoya, confronté à une opposition alors qu'il était encore mineur.
Pour Rabiatou Njoya et les autorités administratives de Foumban, Arouna Njoya avait renoncé à sa chefferie et "donné" sa place à son frère, Adamou Vessah. Adamou Ndam Njoya, lui, parle de régence. A la suite du décès d'Adamou Vessah en 1967, Mfouapon Alassane , son fils, le remplace, "toujours avec l'approbation de mon père qui était alors occupé par ses fonctions à Yaoundé", soutient Adamou Ndam Njoya. En somme, pour lui, "c'est une affaire de famille" que lui a transmise son père auquel il a succédé en 1992. Seulement, témoigne-t-il encore, quand disparaît Mfouapon Alassane, "son fils Ibrahim Vessah que je voulais introniser est contesté par les chefs de village qui demandent que je reprenne en main la chefferie parce que la gestion du fils de Vessah ne les satisfaisait pas". Depuis lors, l'adoubement officiel de Ndam Njoya traîne "parce qu'il s'agit d'un opposant".
Rabiatou Njoya n'est pas de cet avis. Pour elle, les notabilités de Njinka se seraient plutôt prononcées au cours des dernières consultations pour que la chefferie puisse être dirigée par n'importe lequel d'entre eux qui mériterait leur confiance. Avec elle, le rappel historique que font les autorités administratives au sujet du groupement Njinka situe la prise du pouvoir d'Arouna Njoya à 1939. Une manière de dire que cette fonction n'était pas attachée au grand notable Njimonkouop, père d'Arouna Njoya, qui avait vu son prestige et sa puissance renforcées par la balkanisation du royaume, après l'arrivée des colons français.
En effet, c'est pour affaiblir le pouvoir royal du Sultan Njoya que des groupements avaient été créés dans la région, reconnaît Adamou Ndam Njoya. Mais c'est la gestion "bienveillante" qu'ont fait les Njimonkouop de ce pouvoir qui aurait légitimé véritablement celui-ci. Plus de soixante ans après sa création, la chefferie de Njinka vit aujourd'hui avec deux chefs. Adamou Ndam Njoya qui "gouverne" et Ibrahim Mombet qui a réclamé et obtenu asile auprès ... du sultanat. Ce qui renforce Ndam Njoya dans sa conviction d'être victime d'un complot. Le président de l'Udc, par ailleurs député et maire de Foumban, estime Rabiatou Njoya, est simplement un ambitieux qui cherche en réalité depuis longtemps, après avoir conquis tous ces postes, à s'asseoir sur le trône de Nchare, le fondateur du royaume bamoun. La soeur du sultan peut même dire, pince-sans-rire, que la popularité de l'Udc et de son chef est en train d'entamer une chute : "son marabout est mort, il en été ébranlé et les gens commencent à comprendre..."
Adamou Ndam Njoya:
Je suis un Camerounais de Njinka
Député et héritier d'une famille féodale, il ne peut se départir de l'une ou l'autre casquette.
C'est un sexagénaire drapé dans un long boubou blanc. Dans une bibliothèque que jouxte une petite salle de prières, Adamou Ndam Njoya reçoit ici des visiteurs de toutes sortes : des jeunes diplomates, des militants de l'Union démocratique du Cameroun (Udc), des amis, etc. Le président de l'Udc a cette distinction que l'on reconnaît aux aristocrates. Et dans son entourage, où quelques-uns lui donnent du "Excellence", l'on semble vouloir marquer la distance qu'il y a entre lui et son petit monde. Pourtant, le fils d'Arouna Njoya se veut être, comme son père, un briseur de barrières, un libérateur des petites gens.
"Je suis le prince qui n'écrase pas le peuple, c'est pour cela que les Bamoun se reconnaissent en moi.
C'est mon père qui a demandé l'abolition du servage dans le royaume, et pour cela il s'est fâché avec le Sultan [Seïdou Njimoluh Njoya, père de l'actuel souverain, Ndlr] qu'il avait pourtant installé au trône après la mort du Roi Njoya en 1933, venant ainsi à bout des partisans du démantèlement de la monarchie. C'est pour ça qu'il est allé se faire élire à l'Arcam [Assemblée représentative du Cameroun, Ndlr] dans la région Nord", soutient le candidat arrivé en troisième position lors de la dernière élection présidentielle.
Mais d'où vient-il justement qu'un politique, qui a des ambitions nationales comme celles qu'Adamou Ndam Njoya a exprimées dans sa course pour le palais d'Etoudi, se trouve empêtré dans des batailles villageoises et familiales ?
Il n'y a pas, dans l'entendement du député de Foumban, qui est aussi chef de l'importante famille princière Njimonkouop, une incompatibilité entre les deux fonctions. Même si, incidemment, la résurgence des problèmes de Njinka peut contribuer à rattacher un peu plus l'image de ce politique à son terroir d'origine. "Ceux qui ont une lecture réduite peuvent le dire, mais en réalité je ne peux pas délaisser ma famille pour aller construire le monde. En réalité c'est à partir de là que je pars pour proposer mon message aux autres Camerounais. Tout cela n'est pas incompatible avec les autres combats." Et même que, "s'il y avait deux ou trois départements comme le Noun au Cameroun, le problème démocratique serait résolu, parce que là-bas on sait remettre en cause l'ordre du Rdpc. Les Camerounais doivent aller puiser à cette source."
Rigueur et moralisation
S'il soutient que ce département où règne une "monarchie organisée a fait sa révolution", il refuse d'être rattaché de quelque manière que ce soit à la super-structure nationale, celle qui dirige le Cameroun depuis l'indépendance et dont il a été un ministre. "Je n'ai pas contribué au système Ahidjo.[...] J'ai remis le système en cause en disant que ceux qui ont de l'argent n'ont pas droit à tout et que les pauvres qui travaillent à l'école par exemple doivent pouvoir mériter d'avoir des bourses", clame-t-il aujourd'hui. Sur la base des fonctions ministérielles qu'il a occupées aux Affaires étrangères et à l'Education nationale, il estime être plutôt le continuateur, à Foumban comme partout au Cameroun, de l'oeuvre de son défunt père.
Arouna Njoya a "démissionné du gouvernement Ahidjo en 1964 parce qu'il estimait que les ministres doivent d'abord être des élus". Son fils, lui, s'est bien abstenu de féliciter Paul Biya à son accession à la magistrature suprême parce que "connaissant l'homme, je savais ce qui nous attendait". Mais en revanche, Adamou Ndam Njoya avait encouragé le président de la République à mener à bon port la politique de "Rigueur et moralisation" dont il réclame la paternité. Le "vieux" combat pour un monde de justice et d'équité qui fait courir l'actuel chef de la famille Njimonkouop va se poursuivre. Au sein de la Coalition pour la réconciliation et la reconstruction nationales (Crrn), les partis politiques et les associations civiles qui veulent "changer le Cameroun" à travers la politique de l'"éthique républicaine et démocratique" auront cependant fort à faire au regard de la forte capacité de nuisance des adversaires de "Njimonkouop" Adamou Ndam Njoya.