Arrivé en Russie en novembre 1997, Jerry-Christian Tcuisse a vécu dans des conditions de misère drastiques avant de trouver sa voie. Il est aujourd’hui l’arrière droit incontestable du Spartak de Moscou et vient de connaître sa première sélection avec les Lions Indomptables.
Vingt-six ans, 1,76 m, 76 kg, ce garçon né à Nongsamba n’avait jamais imaginé que sa destinée le conduirait un jour en Russie. Fils d’un employé de papeterie et d’une mère ménagère, Jerry-Yves Tchuisse est issu d’une famille de huit enfants.
Très tôt, comme tous les enfants de son âge, dans cette ville où le football est roi avec pour référence l’Aigle local, Tchuisse a tapé dans un ballon dans la rue, dans la cour de récréation et celle de la maison paternelle. Assez physique et doué pour le junior qu’il était encore, il intègre très vite Bongongui, un club de deuxième division du Littoral où il joue libero pendant trois ans. Son talent amène les dirigeants du Léopard de Douala à s’attacher ses services. Il y reste deux bonnes saisons durant lesquelles il connaîtra deux présélections pour intégrer les rangs des Lions Indomptables, mais sans succès.
L’envie d’aller voir ailleurs commence alors à lui hanter l’esprit. Comme beaucoup d’autres jeunes Camerounais, il rêve naturellement d’aller tenter l’aventure dans le vieux continent. Une lueur d’espoir légitime naît lorsque Eugène Ekéké lui promet de l’aide, vu les multiples attaches qu’il a en Europe où il a évolué de nombreuses années comme professionnel mais, Tchuisse attendra en vain. Jusqu’au jour où ce fameux Joseph, un étudiant camerounais en Russie depuis huit ans, improvisé imprésario, lui a proposé de le « placer » au pays de Staline.
C’est ainsi que le 13 novembre 1997 exactement, il débarque à Krasnodar, à plus d’un millier de kilomètres de Moscou, avec douze autres jeunes Camerounais que Joseph avait ramenés, convaincu de pouvoir intégrer le club local. Première surprise : le championnat russe venait juste de se terminer. Les treize compères vont ainsi passer l’hiver russe, qui venait à peine de commencer, entasser dans une petite chambre d’étudiant. Cinq bons mois de galère et de misère. Tchuisse s’en souvient encore aujourd’hui comme si c’était hier. « Je cherchais alors de miettes pour grignoter », lance-t-il avec un sourire narquois et beaucoup d’amertume.
Mais, pour emprunter une expression populaire bien de chez nous, "Dieu nourrit les oiseaux". Christian Tchuisse intègre par hasard une corporative de la ville. Au risque de vous surprendre, c’est le point de départ du bonheur qu’il vit aujourd’hui avec une des formations les plus respectées d’Europe.
En effet, lors d’un match amical contre Tchernomorets Novorossiisk, une équipe de première division, Tchuisse est tout de suite repéré par l’entraîneur des pensionnaires de l’élite russe. Et, après avoir livré cinq matches test avec un succès éclatant, Tchernomorets décide de s’attacher ses services pendant deux ans.
Mais quelques petites difficultés vont apparaître dans la mesure où, la position stratégique du poste qu’il occupe sur le terrain (il est libero de formation) est synonyme de commandement, de chef d’orchestre alors que le garçon de Nkonsamba ne pige que dalle de la langue russe. La situation devenant quelque peu ingérable, Tchuisse a alors vite fait de glisser sur le flanc droit et s’est mis à apprendre la langue en bon "débrouillard". L’analogie qu’il fait de son apprentissage du russe est explicite : « Je l’ai appris comme j’ai découvert le football: dans la rue ».
Aguerri, sur ce plan après une saison, un autre coup dur surviendra : triple fracture de la cheville lors du match de championnat contre le Spartak. Christian broie à nouveau du noir et il n’en revenait pas. « C’était injuste. J’avais déjà trop souffert. A peine devenu réalité, mon rêve venait de se briser. Je ne pensais même plus au foot, mais à remarcher ».
Avec un moral dur comme fer, six mois après, Christian Tchuisse revenait à la compétition et un jour, alors qu’il était dans sa chambre d’hôtel au mis au vert d’un match, il reçoit un coup de fil de l’adjoint de Romantchev, le président du Spartak qui lui signifiait que l’équipe de Moscou avait besoin dans l’optique de la Champion’s League. Tchuisse a d’abord cru à une blague. « Si je n’avais pas été sûr de l’appel, je lui aurais répondu qu’il me faisait du mal car il se moquait de moi» dit-il aujourd’hui.
Il ne se moquait pas de lui car, à l’issue des discutions qu’il a menées tout seul, c’est un contrat de trois ans qu’il paraphait avec le Spartak avec lequel il a éclaboussé de son talent la compétition russe où il a déjà été deux fois champion en autant de saisons. Il est également connu à présent dans tous les grands temples du football européen par le biais de la ligue des champions. Plusieurs grands clubs souhaitent aujourd’hui s’attacher ses services. Mais, on se demande s’il cèdera à ces multiples appels car son rêve de petit garçon reste intact. « Je veux rattraper le temps perdu et aller un jour dans le club de mon enfance, le Milan AC ».
Pour l’immédiat c’est à l’appel de Jean-Paul Akono qu’il doit d’abord répondre afin d’apporter le fruit de son expérience aux Lions Indomptables.