Hommage à Marc-Vivien Foé
Colosse drapé dans la couleur qui est nuit, mais artiste rompu aux hautes voltiges ! Marc-Vivien, la planète du football s'étrangle et pousse ces longs sanglots qui viennent de la disparition d'un athlète, d'un homme, d'un lion indomptable soudainement à terre. Tu as brusquement quitté ton univers fait d'interceptions de balles, de râteaux, de dribbles de dégagement et de montées rageuses à l'assaut des cages adverses ! Tu es parti, tel un coup de fusil, au pays des ombres. L'ironie de l'histoire veut qu'un lion se soit écroulé à Lyon !
Colosse drapé dans la couleur qui est nuit, mais dont le souffle fut majestueux ! Tu étais, Marc-Vivien, le mage des savanes et des forêts tropicales. Les terrains du vaste monde, où tes chevauchées offensives sonnaient la charge insoutenable des Lions indomptables, ne verront plus l'athlète tutoyant les cimes de l'excellence avec la douceur des sages et l'abnégation des humbles.
Colosse drapé dans la couleur qui est nuit et laissant un peuple comme abandonné aux chants du désespoir. Tu conjuguais le verbe jouer avec cette élégance qui subjugue en premier l'adversaire au point de le rendre davantage spectateur qu'acteur de son action. Tu avais pour tâche primordiale de soutirer proprement le ballon des pieds malhabiles de l'adversaire pour le donner à tes partenaires dans des conditions les meilleures, autorisant les départs en fanfare et les attaques victorieuses. Tu récitais cette leçon avec bonheur et tu ne lésinais jamais à te porter vers l'avant, prompt à donner l'estocade finale.
Colosse drapé dans les habits de lumière ! De Yaoundé à Lens , Londres. De Lyon à Manchester City, tu jouas presqu'à contre-emploi, chargé des missions défensives alors que ton être, ton habilité, ta densité physique, ton volume de jeu comme ton adresse eussent exigé qu'on te désignât métronome ! Toi, Pharaon d'ébène de l'entre-jeu, dominant le jeu et sortant toujours du lot comme une crevette de la nasse, pour transmettre aux attaquants des ballons précis, techniquement enrichis, roulant sur la note bleue de la réussite frappée par un maître du balafon.
Colosse drapé dans les boubous qui enchantent ! La cruauté éteint les mots et voici que des maux viennent en nous, féroces et violents en ces instants où la douleur nous plie et que la rage nous étouffe ! Le temps s'ouvre donc aux arrachements indicibles ! Tu étais homme économe de tes propos, mais tu as bien résumé ta recherche personnelle en affirmant : "Il faut savoir être petit avant d'être grand." Tes souliers, mais aussi ta retenue, ton ardeur mais davantage encore ton cœur qui battait si fort aux accents de la générosité, ont fait de toi un géant qui n'a pas eu le temps de livrer tous ses messages.
Colosse en effet drapé dans la couleur qui est nuit et dont le regard perçant éclairait le jeu ! Ton nom, Foé, signifie "message" dans cette langue Beti toujours apte à conter les prodiges de la création. Quel serait donc ton ultime message dans la chaleur tropicale de cet été naissant ? Ne dirais-tu pas qu'il serait aussi temps, même lorsqu'on a été élevé à la stature de colosse des stades, d'avoir droit à un peu plus de repos, un peu moins de cadences, un peu plus de considération, un peu moins de convocations, un peu moins de rendez-vous destinés à éblouir les foules ?
Colosse désormais retiré de la liste des mortels, mais colosse drapé dans les pagnes aux couleurs d'espoir, de feu et de rêve ! Le vert, le rouge et le jaune, éclatants du drapeau national seront les fiers compagnons du colosse que la Grande Faucheuse a si prématurément soustrait à nos applaudissements. Et le linceul tissé aux coloris de la patrie reconnaissante recouvrira ton corps de statue d'ébène et te pressera dans une étreinte d'amour qui protège et sublime. Alors, Marc-Vivien Foé, les causeries qui ne peuvent s'interrompre se poursuivront au fil des ans, au fil des exploits des Lions indomptables, au fil des pages racontant tes œuvres. Alors, tes exploits, les exploits d'une équipe, les exploits d'un Pays des Crevettes, les espoirs des supporters, les hommages des adversaires émus aux larmes après ta disparition, les rêveries d'enfants, tous les enfants, les tiens et tous ceux à venir qui porteront ce numéro dix-sept en souvenir de toi.
Colosse drapé dans la couleur qui est nuit mais maestro qui savait donner le ton d'une rencontre ! Tu étais comme une palissade infranchissable et les sept collines qui entourent Ongola*, la capitale, ont sûrement tressailli après ta chute fatale à Lyon.
Colosse dont la demeure est désormais nuit, il te manquera donc une finale, celle qui se jouera sans toi mais pour toi, dimanche 29 juin 2003 au stade de France. Elle n'aura qu'un seul vainqueur drapé dans les habits de lumière : Marc-Vivien Foé !
Eugène Ebodé
écrivain (auteur de La transmission - roman, éditions Gallimard, 2002), ancien international junior du Cameroun.
*Autre nom de Yaoundé, la capitale du cameroun.