Cameroun - Nécrologie: La reine des Ewondo est décédée

Par Florette Manedong, Jean François CHANNON | Le Messager
- 03-Feb-2014 - 04h45   61017                      
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Absence de pleurs, ou d’une quelconque indication susceptible de renseigner un visiteur, sur les obsèques de Marie Thérèse Assiga décédée samedi, 1er février 2014..
C’est le calme plat au sein de la famille, tant à la résidence familiale, qu’à la chefferie. C’était ce samedi 1er février 2014 que s’est éteinte la reine Marie-Thérèse Assiga Ahanda, fille de feu Charles Atangana, chef supérieur des Ewondo et des Bene. A leur résidence familiale hier, dimanche 2 février 2014, l’heure est plutôt au calme. Rien en tout cas, ne laisse présager de ce qu’il s’y prépare des obsèques ou de quoi que ce soit. La résidence en elle-même paraît inhabitée, seuls le vigile et sa compagne, y trônent en maîtres des lieux, peuvent apporter quelques renseignements aux visiteurs. C’est en effet une grande bâtisse, construite sur deux niveaux, implantée sur un vaste terrain entouré d’une très grande clôture. Sur ladite clôture, on peut effectivement voir des vêtements d’enfants séchés et des sacs de classes. Mais, ce n’est certainement pas ici qu’une réponse sera apportée à notre interrogation. Encore moins au «château» de la famille, communément appelé «la chefferie» vers où nous avons été orientés : « c’est là bas que vous pourriez avoir le programme des obsèques et toutes les autres informations que vous désirez. Nous autres ne pouvons rien dire, nous ne connaissons pas grand-chose, excepté que c’est à la maison du haut que tout se passe», précise le vigile. Ambiance singulière A la « maison du haut » justement, située au lieu dit carrefour Efoulan, non loin de la sous-préfecture en l’absence de sonnerie au niveau de l’entrée principale, il faut attendre quelques minutes après avoir toqué pour être reçu. En face de soi, on a alors un jeune homme, vigile de cette autre bâtisse, et seul à pouvoir apporter quelques informations que ce soit, en tout cas, à cette heure-ci : « le père s’est absenté tôt ce matin. Il ne sera de retour qu’aux environs de 18h ». Selon lui, « le père » serait ainsi le géniteur de la reine décédée, ce qui s’avère inexacte, car tout le monde sait à peu près à quelle date est décédé Charles Atangana. Tout porte à croire qu’il s’agirait en réalité d’un des oncles ou frère de la défunte. Ici, l’on peut également apprendre que, la princesse serait décédée à son domicile sis à la résidence familiale. Difficile de savoir si elle était malade ou non. Rien non plus à dire, quant à la question du programme des obsèques, encore moins au sujet de la position actuelle de la dépouille. « Nous sommes en plein ménage général, pour attendre l’arrivée du corps ici. C’est tout ce que nous savons». C’est tout ce que peut nous apprendre le vigile. Dans le quartier, la nouvelle est très peu répandue : « je ne savais même pas qu’elle était décédée», répond un riverain chez qui nous nous sommes renseignés pour une localisation exacte du domicile familial. N’en demeure pas moins que, la nouvelle est avérée, la reine est bel et bien décédée. Florette Manedong Marie Thérèse Assiga: Itinéraire d’une reine contestée Ancienne députée à l’Assemblée nationale au temps du parti unique, et Reine des Ewondo et des Bene, le long règne de la fille aînée du chef Charles Atangana Ntsama n’a jamais été un long fleuve tranquille. A la mort de son père, Charles Atangana Ntsama, celui-là même qui avait été fait chef supérieur des Ewondo et des Bene, du fait de son étroite collaboration avec l’administration coloniale allemande, Marie Thérèse n’était encore qu’une gamine. Celle dont le père, Charles Atangana, avait pris la prestigieuse place du vénérable et patriote chef Ewondo Essono Ela, qui fut pendu publiquement dans son village Etoa Meki par les colons allemands, a ainsi grandi avec l’idée d’une princesse qui devait un jour succéder à son père. Mais il se trouve que les vicissitudes conflictuelles entre les clans familiaux de la grande famille Mvog Tsoung Mballa du Mfoundi, vont se raviver pendant la colonisation française. La plupart des patriarches Ewondo, de la grande famille Mvog Tsoung Mballa, et notamment Mvog Ada et Mvog-Betsi, n’ont jamais accepté que Charles Atangana Ntsama (dont les origines familiales sont modestes) se soit allié aux colons allemands, et se faire introniser chef supérieur des Ewondo et des Bene, alors que le chef légitime, Essono Ela était embastillé et pendu publiquement, devant son peuple, par les tenants du pouvoir de l’administration coloniale allemande. Et c’est donc dans cette ambiance considérablement antagoniste au sein des familles d’Ongola que le Cameroun accède à l’indépendance en 1960. Marie Thérèse Atangana, la fille aînée de Charles Atangana Ntsama qui vient de disparaître, va donc gérer cet héritage difficile, concentré dans divers pôles de conflits dans les grandes familles traditionnelles Ewondo d’Ongola. La vérité historique est que les Allemands qui ont fait de Charles Atangana Ntsama roi, partis, les nouveaux colons vont chercher d’autres collaborateurs susceptibles d’effacer les traces des anciens protégés des Allemands. C’est la logique que trouve le pouvoir qui hérite du Cameroun en 1960. Face à Fouda et Emah Basile Au fil des ans, le président Ahmadou Ahidjo qui tient les rênes du pouvoir du jeune Etat crée dans l’exercice de son pouvoir ce que les politologues vont appeler plus tard l’axe Nord-Sud. Avec des acteurs incontournables chargés d’implémenter au quotidien cette politique. Parmi ces acteurs principaux, au niveau de la grande famille Mvog Tsoung Mballa de Yaoundé, et même du grand Sud, il y a un homme qui a pour nom Fouda Anaba André. Fils du clan Familial Mvog Ada, de la grande famille Mvog Tsoung Mballa, Fouda Anaba qui fait partie des hommes influents du pouvoir du président Ahmadou Ahidjo, n’avait pas la mémoire courte. En effet, cet homme caractériel et de très forte personnalité n’a surtout pas oublié que son oncle, le chef Essono Ela, qui faisait partie des chefs traditionnels Ewondo qui se sont rebellés contre les colons allemands, avait été pendu publiquement, parce que entre autres, il aurait été trahi par un certain Charles Atangana Ntsama. Ce dernier, indexé comme étant un collaborateur entièrement acquis aux colons allemands, et qui sera par la suite récompensé par un titre de chef supérieur des Ewondo et des Bene, est alors considéré comme un arriviste dans le cercle des familles régnantes d’Ongola. Fouda André, très écouté par Ahmadou Ahidjo décide donc entre autres, de mettre en veilleuse cette chefferie supérieure des Ewondo et des Bene créée par les Allemands et gracieusement offerte à Charles Atangana Ntsama. Il favorise plutôt une multitude de chefferies traditionnelles autonomes dans le Mfoundi et au-delà, à travers le pays Beti du Cameroun. C’est ainsi que le clan Mvog Atemengue, membre de la grande famille Mvog Tsoung Mballa, et dont le chef Charles Atangana Ntsama est issu se retrouve au fil des ans avec moins d’influence dans le Mfoundi. Toutefois, la fille aînée du chef Charles Atangana Ntsama, Marie Thérèse Atangana, une belle plante qui a fait des études en Europe au début des années 50, comme beaucoup de jeunes de sa génération, et qui depuis les années 60 et 70 a su intégrer le sérail politique d’alors, n’entend pas voir la mémoire de son père et de son clan familial être ainsi anéanti ou bafoué. Forte de son influence, elle multiplie des lobbyings auprès du président Ahidjo pour plaider la cause de la chefferie supérieure des Ewondo et des Bene dont son père était le souverain. Les débats entre elle et Fouda André sont houleux et parfois frontaux. Ayant réussi à intégrer l’appareil politique du parti unique à un niveau respectable, elle devient député à l’Assemblée nationale et plaide la cause de sa chefferie. Reine chez les Ewondo, épouse chez les Etoudi Quand Fouda André, devenu entre-temps délégué du gouvernement auprès de la Commune urbaine de Yaoundé meurt au début des années 80, le nom de Marie-Thérèse Atangana qui fut pratiquement son adversaire acharnée, est alors citée comme son potentiel successeur. Mais le président Ahidjo préfère porter son choix ailleurs en nommant comme successeur de Fouda André à la tête de la commune urbaine de Yaoundé, Emah Basile, fils Mvog Tsoung Mballa de la famille Mvog-Betsi. Une véritable désillusion donc pour Marie Thérèse Atangana qui entre temps, au début des années 70 est devenue Marie-Thèse Assiga. La fille de Charles Atangana Ntsama avait ainsi épousé un fils de la grande famille Etoudi de Yaoundé, du nom Assiga, haut responsable de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac). Ce qui fait qui naturellement, devrait l’amener d’Efoulan pour Etoudi. Curieusement, Marie Thérèse décide d’avoir un pied dans son foyer, et un autre à la chefferie d’Efoulan. Encouragée et motivée, dit-on, par des oncles maternels, elle se fait introniser « chef supérieure des Ewondo et des Bene ». Les fonctions qu’occupait justement dans le temps, son père, Charles Atangana Ntsama. Marie Thérèse Assiga se fait alors bâtir un immense château à Efoulan. Un peu dans le style de celui laissé par son géniteur. Quelques « petits » chefs traditionnels de la zone d’Efoulan qui sont sous sont influence lui font allégeance. Mais de manière générale, l’affaire est jugée trop grosse par les caciques traditionalistes Ewondo et Beti en général de la capitale. Elle à de la peine à passer. Et pour cause ? Les Ewondo comme tous les peuples Fang-Beti, les pahouins, comme les appelle certains anthropologues, sont en général des peuples machos. Il est difficile pour eux d’accepter qu’une femme soit intronisée reine ou chef et en plus prétendre régner sur eux. Qui plus est, pour les Mvog Tsoung Mballa et Mvog Atemengue, une femme qui est allée en mariage ailleurs, loin, chez les Etoudi. Cette affaire de Marie Thèse Atangana épouse Assiga, qui se fait reine des Ewondo et des Benes, va donc créer un grand conflit. Non seulement dans le Mfoundi, mais presque partout en pays Beti. Elle se retrouve ainsi critiquée et surtout isolée. D’abord par sa propre famille. Un de ses frères directs va notamment dénoncer et s’opposer au fait qu’elle devienne chef. Et ensuite aussi par la plupart des Mvog Atemengue, le clan familial de son père, qui ne comprennent pas comment une femme peut devenir reine chez les Beti. Toujours tenace, Marie-Thérèse tiendra bon. Et à la fin des années 80 et début des années 90, Un concours de circonstance va voler à son secours. Apparition publique En fait, nous sommes au début des années de braises. Paul Biya inquiété par ce qu’on a appelé le vent d’Est ramène des hommes de poigne au gouvernement. Parmi ceux-ci, il y a Gilbert Andze Tsoungui qui devient vice-Premier ministre, ministre de l’Administration territoriale. Le pays est dans la tourmente avec notamment les villes mortes. Le Mfoundi siège des institutions veut parler d’une seule voix et marquer sa fidélité à Paul Biya, le président de la République qui se retrouve bien fragilisé par l’opposition montante. Dans les luttes hégémoniques entre patriarches du Mfoundi pour le contrôle des troupes, deux camps se sont formés. Il y a celui de Gilbert Andze Tsoungui, alors tout puissant vice-Premier ministre, ministre de l’Administration territoriale, et celui d’Emah Basile, non moins puissant délégué du gouvernement auprès de la Communauté urbaine de Yaoundé. Gilbert Andze Tsoungui étant originaire de la tribu Beti Ndong, un groupe minoritaire venu de la Lékié, il a besoin des alliés qui sont de vrais autochtones du Mfoundi. C’est ainsi qu’il va jeter son dévolu sur Marie-Thérèse Atangana, épouse Assiga qui par ailleurs une fille de la grande famille Mvog Tsoung Mballa. Il y a un deal à la base : d’abord en temps que Minat, tutelle des chefferies traditionnelles, Gilbert Andze Tsoungui va confirmer opportunément Marie Thérèse Assiga comme reine des Ewondo et des Benes et accroître ainsi l’influence traditionnelle et politique de son allié. Cette décision va plutôt consolider les colères du fils Mvog Tsoung Mballa du Mfoundi, et l’isolement complet de la reine Marie-Thérèse Assiga. Et cela publiquement. Ceci parce qu’on se souvient qu’une réunion des forces vives du Mfoundi convoqué chez Emah Basile en 1991 va rassembler tout ce que ce département compte comme élites autochtones. Même le très réservé et énigmatique Omgba Damase qui prend souvent très peu part à ce genre de rassemblement sortira pour aller prendre part à cette concertation. Tous vont consacrer Emah Basile comme leur patriarche porte-parole. Ainsi isolée par les siens, Marie-Thérèse Assiga va se réfugier dans sa belle-famille à Etoudi. On entendra plus vraiment parler d’elle pendant un moment. Surtout sur le plan politique. Et son règne de reine des Ewondo et des Benes ne sera qu’apparent. Jamais elle n’a pu rassembler autour d’elles les Ewondo et les Bene. Aucun de ses sujets ne se sentait vraiment obligé vis-à-vis d’elle. Ces dernières années, elle s’est retrouvée au centre d’un conflit familial à Efoulan, suite au décès d’une de ses belles tantes dont elle s’est violemment opposée à l’inhumation au caveau familial du palais de son père. Là aussi, les Mvog Tsoung Mballa en général, et les Mvog Atemengue en particulier, se sont ligués contre elle. Affaibli par la maladie ces derniers temps, sa véritable apparition publique remonte à la célébration de ses 40 ans de mariage avec M. Assiga. La fête a eu lieu au domicile du ministre Philippe Mbarga Mboa. Samedi 1er février 2014, elle quitte ce monde, 04 mois après que son fils ainé, le Dr Assiga Ahanda ait été élu député Rdpc du Mfoundi à l’Assemblée nationale. Lorsque nous l’avons rencontré au milieu des années 2000 il lui était venu l’idée d’écrire un livre pour raconter son riche parcours, son expérience politique, et dire sa part de vérité sur son père, sur les Ewondo et les Bene, et sur Yaoundé. Elle n’a certainement pas eu ce temps. Hélas. Paix à son âme. Jean François CHANNON




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