En un an d'exploitation, la nouvelle compagnie aérienne a creusé le trou de plus de 40 milliards de FCFA. La faute au gouvernement qui n'a pas pris les bonnes mesures
à temps. La faute aussi à un Directeur Général réputé incompétent.
Alex Van Elk
Photo: © Camair-Co
La Camair-Co est mort-née. C’est écrit sur son acte de naissance. C'est au départ la faute de l'Etat. En 1998, la défunte Camair traînait des déficits cumulés de 50 ou 55 milliards. L'Etat unique actionnaire aurait pu gérer la situation d'un simple coup de crayon sur les bilans de l'entreprise. Et faire un petit effort pour liquider ses dettes auprès de la compagnie. Yves Michel Fotso demandait à avoir les 17 milliards dus par l’Etat, à Yaoundé, on a fait le radin. Avant Fotso, il y a eu les milliards des actions SITA-Equant, les 34 milliards des assureurs pour le crash du Combi sous Yves Michel Fotso. Les milliards ont servi à arroser quelques-uns à Yaoundé. Et pas à recapitaliser la compagnie qui en avait un grand besoin. Quelques années plus tard, après l'intermède Dakayi Kamga, on apprend que Ngamo Hamani s'est enrichi de 120 milliards servis par Polycarpe Abah Abah, en trois petites années. De quoi financer une bonne compagnie aérienne avec des avions en propriété. A tout bien prendre, l'Etat du Cameroun s'est saigné de près de 200 milliards à fonds perdus, alors que cet argent aurait pu servir à sauver notre belle Camair.
L'autre erreur rédhibitoire de l'Etat (ou du gouvernement) aura consisté à fermer la Camair et d'attendre cinq ans pour lancer la Camair-Co. En gestion stratégique, on fermait la première un vendredi et on ouvrait la seconde dès le lundi d'après. D'avoir attendu aussi longtemps, on s'est retrouvé dans la situation du bonhomme imprudent qui confie son épouse à un voisin pendant cinq ans et qui espère qu'il la retrouvera intacte.
A toutes ces impérities étalées du gouvernement camerounais vient s'ajouter une autre calamité. Alex Van Elk est décrété délégué aux fonctions de directeur général. Les grands juristes à Yaoundé soutiennent que le régime des directeurs généraux délégués à la tête des entreprises d'Etat est pour le moins illégal. Le Cameroun en a connu deux, aux Chantiers navals et à la Camair-Co. Le Van Elk en question avait tous les handicaps. Il sortait d'un contrat au Nigeria d'où il a été proprement viré pour incompétence. Et il n'y gérait pas une compagnie à vocation internationale. Des amis du Nigeria ne manquent jamais l'occasion de nous le rappeler: «Vous recrutez à la tête de votre compagnie nationale un mouilleur que nous avons viré chez nous?»
En fait de mouilleur, Alex Van Elk en est un gros. On l'appelle à la rescousse après le départ de Gilbert Mintonneau, il va glandouiller une longue année à trouver un business plan pour la compagnie. Au bout de ce temps, sa trouvaille est toute simple: il sert au gouvernement un pâle copié-collé d'un plan quelconque, le genre qu'on retrouve sur le net en quelques clics. A l'arrivée, c'est tout, sauf un business plan. Nulle trace du partenaire stratégique, alors qu'on avait avant lui pris langue avec la sud-africaine Camair. Dans le document soumis, il saute aux yeux que les études de marché ont été bâclées. On a pris des virtualités pour des données objectives. Quelqu'un lui a soufflé que les Camerounais adorent leur compagnie aérienne et qu'il suffisait qu'un avion aux couleurs du Cameroun décolle, tout le monde sera là, en rangs serrés, comme le jour d'un marché forain. Sauf que, un an après, les Camerounais ne viennent toujours pas. Pour une bonne raison. Au départ de Paris, les Camerounais qui veulent venir au Cameroun et faire les fiers avec leur compagnie, ne savent toujours pas où ils peuvent s'acheter un billet avion. Ils vont donc à Swiss International ou à Brussels. Quitte à payer 500 euros de plus sur chaque billet d'avion. La semaine dernière, le vol au départ de Paris Roissy Charles de Gaulle, a pris 11 heures de retard. Le temps qu'il faut pour faire un aller-retour sur Douala au départ de Paris. On pense bien que les Camerounais, même par amour pour leur pays, ne reviendront pas. Pourquoi dans le business plan de Van Elk, on n'a pas articulé une action de communication stratégique associée à une stratégie commerciale bien ciblée?
Personne au gouvernement n'aura senti que Van Elk n'était pas l'acteur qu'il nous fallait. La preuve par dix (et pas par neuf), le Néerlandais s'est toujours entouré de professionnels étrangers, ceux qui pouvaient l'aider à gérer une situation dont il n'était pas à la hauteur. D'abord un directeur des opérations, et plus loin des pilotes et des techniciens navigants qu'il refusait systématiquement de recruter parmi les Camerounais qui sont pourtant très compétents.
Tout est loin d'être terminé. Le Cameroun veut continuer à voir voler des avions sous son pavillon? Il faudra continuer à se saigner, à fonds perdus. En une seule année, Van Elk a creusé le trou de 22 milliards. Alors qu'il ne parvient pas à remplir les avions dans la flotte, le taux moyen de remplissage est de 33%, les avions ne sont donc jamais pleins. Mais on a l'ambition de prendre de nouveaux avions chez les Chinois. Simple réflexion élémentaire: on ne prend pas de nouveaux avions quand on ne parvient pas déjà à remplir ceux qu'on a dans sa flotte. Et quand on prend un avion en location, il faut le faire voler au maximum. Pourquoi le Cameroun s'est-il coltiné un brave homme comme Alex Van Elk. Il aura été tout, sauf le bon cheval. Un Etat comme le Cameroun qui a des concurrents aussi féroces qu’Air France ou KLM avec Kenya Airways ne confie pas sa compagnie aérienne à un Néerlandais. Alex Van Elk, c'est la Hollande avec KLM, c'est aussi Air France, le meilleur adversaire de Camair-Co sous le ciel du Cameroun. En une seule année, il a englouti 22 milliards. On ne compte pas encore les 34 milliards investis dans le 767-DJA. Il leur faut encore 20 milliards, pas pour renflouer les caisses de l’entreprise, mais pour payer les dettes. Il faudra bien qu’on arrête de creuser quand le gouffre financier commence à donner le vertige et le tournis.