C’est dans la nuit du 5 au 6 décembre dernier que le chef supérieur Bandjoun, sa majesté Joseph Ngnié Kamga, est décédé dans un avion qui le ramenait de Paris..
Il se trouvait depuis août 2003, pour des raisons de suivi médical, à l’hôpital Salpétrière. Les causes réelles de sa mort ne sont pas encore connues. Toujours est-il que Joseph Ngnié Kamga souffrait des problèmes de neurologie. Le chef a cassé sa pipe, à 69 ans, laissant derrière lui tout un groupement éploré. Des hommes et des femmes qui l’avaient dans l’ensemble toujours aimé et soutenu. Laissant aussi un important héritage, riche et varié qui devrait être sauvegardé. Pour rendre compte à la postérité de ce que représente la chefferie supérieure Bandjoun dans la province de l’Ouest de l’œuvre et de l’héritage du défunt, Mutations a choisi, en quelques tableaux, de parcourir le règne.
1- L’homme
Les professionnels des oraisons funèbres, pour une fois n’auront pas à forcer leur talent en accompagnant à sa dernière demeure Joseph Ngnié Kamga, décédé à 69 ans. Ils n’auront aucun problème, s’ils se sont donnés la peine de parcourir quelques pages de notre histoire administrative, politique et traditionnelle, à situer cet homme comme l’une des figures emblématiques de ces vingt dernières années au Cameroun. Ce qu’on peut appeler un " baobab ". On peut y revenir, en relevant le parcours exceptionnel de cet administrateur civil principal, en service à l’époque à Mfou, près de Yaoundé où il fut l’un des tout premiers préfets de la Mefou et Afamba. Le 18 novembre 1984, à la suite de la disparition fatale de son prédécesseur, Fotue Kamga, il accède au trône. On a beau s’y être attendu depuis des mois, si ce n’est des années, on ne peut s’empêcher de constater qu’il s’agit là, au-delà des éloges funèbres, d’une tête qui sera difficile à remplacer.
Avantage pour Paul Biya de manière personnelle que pour le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), où il occupait le poste figuratif de 3e vice-président. Joseph Ngnié Kamga était ce qu’on pourrait appeler le conseiller occulte du président. A la fois de par ses origines princières dans le département du Koung-khi, son aura dans le groupement qu’il dirigeait depuis près de deux décennies et sa mainmise sur les hommes qu’il proposait pour servir le président. Sa longue présence aussi bien comme haut fonctionnaire, que comme homme politique ne lui a pas fait que des amis. Ses déclarations, mélangées à ses manières parfois rustres ont même parfois créé des polémiques d’où il ne sortait pas toujours grandi. Mais il a su, garder intacte la confiance du chef de l’Etat, qui lui a par ailleurs toujours donné raison chaque fois qu’un différend l’opposait à un autre dignitaire du régime.
2- Ambiance au palais
Au fur et à mesure qu’on s’en approche, les cris, les gémissements et les pleurs fendent l’air. La grande cour de la chefferie Bandjoun, sur les hauteurs du quartier Hiala, en cet après-midi du 6 décembre 2003, porte le deuil. Un flot interrompu de visiteurs se presse devant des grilles ouvertes. Les mines sont graves. Devant la principale résidence du défunt, les gardiens filtrent les entrées. Seuls quelques membres de la famille royale auront accès. En face, un gendarme et un policier, armés, ont pris position. Les forces de l’ordre semblent faire la chasse aux curieux. Tous ceux qui sortent ont la mine patibulaire et renfrognée qui caractérise les grandes douleurs. Ils sont peu diserts. Mais on parvient à obtenir quelques brides d’informations en écoutant aux portes. On apprend ainsi que le chef a rendu l’âme la veille, dans un avion. Alors qu’il revenait de Paris. Et que la dépouille mortelle devrait être transférée à Bandjoun dans la nuit de samedi à dimanche dernier pour être immédiatement inhumée, dans la stricte intimité. Comme le recommande la tradition. Surtout qu’il s’agit du chef. On n’en saura pas plus, ni sur ses dernières volontés, ni sur les circonstances de sa mort.
Les membres de la famille, comme s’ils s’étaient passé le mot, sont motus et bouche cousue. Tout autour, la vie tourne au ralenti. Un réunion du conseil municipal de la commune rurale de Peté Bandjoun qui se préparait a été renvoyée. Sur les édifices publics, sont fixés des " arbres de paix ". Presque toutes les populations du département du Koung-khi n’attendent que l’annonce officielle de la disparition de Jospeh Ngnié Kamga. Cela se fera certainement bientôt par la bastonnade d’un homme ou d’une chèvre qui devrait traverser tout le village.
Le chef est donc mort. Pour de vrai. Car sa mort, plusieurs fois annoncée, a été chaque fois démentie. La dernière rumeur remontait à quelques mois. Donné pour mort par des confrères, il avait souvent ironisé : " je sais que je mourrai, mais mon heure n’est pas encore arrivée ". Toute la matinée de samedi dernier encore, ses proches s’accrochaient à cette phrase pour dénier et démentir ce qui était devenu un secret de polichinelle. Joseph Ngnié Kamga, on le savait, était souffrant depuis quelques temps. Sa mort n’aura pas beaucoup surpris. En revanche, elle donnera l’occasion à la nation entière de donner un vibrant hommage à ce dignitaire à qui peu d’hommes aujourd’hui pourraient s’identifier.
3- Histoire de chefs
Il y a dans l’esprit comme une insatisfaction, dès lors qu’on a parcouru les écriteaux de cette grosse plaque, fixée non loin du monument de Joseph Kamga II, 12e d’une dynastie de quatorze rois. Un tableau somme toute énigmatique, à l’image de la disparition de Fotue Kamga, prédécesseur de Joseph Ngnié Kamga, et 27e enfant d’une famille qui en comptait plus de deux cents, mort le 8 septembre 1984 à Nkongsamba dans un accident de la circulation. Alors qu’il rentrait d’un voyage de repos en Europe.
Des choses ont été dites à son endroit, peu avant son décès. Comme le laisse entendre un témoignage : " un jour, un serviteur plus hardi que les autres lui a confié avec fermeté que le peuple n’appréciait pas ses écarts de conduite. Et qu’il était désavoué. Contrairement à ses habitudes, le roi ne s’est pas emporté. Il est resté plutôt calme, pénétré par une profonde douleur. Puis, a rétorqué : pourquoi ces gens ne me comprennent-ils donc pas ? " Le chef a dû prendre le chemin de l’Europe pour se ressourcer. Le retour a été fatal, même si dans ses derniers soupirs, il s’est interrogé sur l’état de santé de son chauffeur. " Il n’a rien eu ", lui a-t-on répondu. " Dieu merci ", a-t-il marmonné avant de succomber. Il avait juste régné pendant neuf ans.
Fotue Kamga, ingénieur agronome est mort à 48 ans. Il aura connu un bref passage au trône, lequel lui avait été légué par Kamga II, qui y a mis une cinquantaine d’années. Or, dans cette communauté, il se dit que " le chef à Bandjoun doit régner pendant 50 ans au moins ". Une affirmation à prendre avec des pincettes, quand on sait que Notouom I, troisième du rang, n’a pas excédé six mois. Les documents disponibles ont du mal à retracer leur passé les débuts de la royauté on retient Notchwegou et Dugnechom comme les deux premiers souverains fondateurs. Malgré sa courte longévité, Notouom I est très vénéré. On le cite beaucoup pour sa générosité à distribuer gratuitement de la viande de chasse à ses populations. Et c’est sur le chemin de la forêt qu’il s’est écroulé pour l’éternité. Il se raconte aussi beaucoup d’histoires au sujet de la grande case traditionnelle située en plein cœur de la chefferie. C’est là qu’on prend d’importantes décisions pouvant engager la communauté. Cette case avait été construite en 1935. Et c’est l’une des femmes du chef Kamga II qui l’avait incendiée pour des raisons non toujours élucidées.
Comment dans cette galerie sera-t-il possible de faire abstraction de la dislocation de l’empire lors de l’arrivée des Français et le départ des Allemands entre 1908 et 1914, sous le regard passif de Fotso II ? Ce dernier ne tardera pas à envoyer son fils Kamga à l’unique école allemande à Bali dans le Nord-ouest. Des accusations qui ont fusé contre Joseph Ngnié Kamga, il y a une dizaine d’années, au sujet de sa contribution à la réalisation de " la succession de Wafo Deffo ", un téléfilm projeté sur les antennes de la télévision camerounaise. " Il a livré tous les secrets de la tradition ", a-t-on écouté de part et d’autre. " l’accusé " était sorti et avait pu de sa réserve dissiper tous les malentendus.
Au fil des années, les différents chefs ont voulu asseoir leur domination sur les voisins. Tout en s’opposant, autant que faire se peut, à la pénétration coloniale. Si leurs objectifs n’ont pas toujours été atteints, l’histoire de la chefferie Bandjoun continue à courir.
4- Les voies de la succession
Les oracles reprennent du service. Qui s’installera sur le fauteuil de la très convoitée chefferie Bandjoun ?
Là il y a plusieurs camps qui s’opposent. La chefferie Bandjoun étant de premier degré comme celles du Noun, de Foto, de Bafou, l’administration risque de jouer un important rôle dans la désignation du prochain Fo’o. Quant aux camps qui se divisent, il faut citer celui de la notabilité. Elle estime qu’après avoir fait 19 ans de règne, Notouom a mis au monde un certain nombre d’enfants. Qui sont " nés sur la peau de la panthère ". Et que c’est au sein de ce groupe que pourra sortir le nouveau chef. De même qu’il faut relever que l’aîné doit avoir aujourd’hui près de 18 ans. On parlera alors par exemple de Ngnié Kamga II, pourvu qu’il soit né pendant le règne. Dans le second landernau, celui de la famille royale, les gens ont une autre vision. Puisque Ngnié Kamga, avant de succéder à son prédécesseur, était son adjoint. Ce qui n’exclut pas que l’un de ses frères consanguins ait des visées lointaines. Dans ce cas, on voit un peu Henri Fotso en service à la Caplami à Bafoussam. Mais sera-t-il possible de propulser sur le trône des gens âgés de plus de quarante ans ? Rien n’est moins sûr.
Quant au troisième cas, il s’agit de la grande bourgeoisie, incarnée par Victor Fotso. Sauf que ce camp a raté son coup. Ces derniers temps, l’homme d’affaires de Bandjoun a pensé qu’il pouvait se faire introniser chef de 2ème degré dans son village. Ngnié Kamga est mort sans que cela ait lieu. Ce qui fait que c’est une éventualité difficile. A défaut de faire entrer à la chefferie une famille étrangère à la régence, le groupe conduit par Victor Fotso peut influencer le choix de la haute administration par son pouvoir financier. Afin de désigner quelqu’un facile à manœuvrer. Reste que la dernière, celle qui pourra surprendre tout le monde réside dans les dernières volontés du défunt. Comme on le sait, la chefferie Bandjoun est la fille de la chefferie Baleng. Et rien n’empêche que son chef, Tela Nembot soit au centre des grands enjeux et procède à " l’arrestation " du futur locataire de la chefferie de Hiala. Tout comme il est probable que l’un des fils du défunt, Joseph Ngnié Kamga, ex-élève au lycée de Bandjoun parte de l’Allemagne où il réside actuellement, pour succéder à son père. Ce ne sont que des supputations.