Après le retrait officiel du Nigeria: Que va faire le Cameroun de Bakassi ?

Par | Le Messager
- 16-Aug-2006 - 08h30   66181                      
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Une victoire en bonne et due forme. Mais la vraie souveraineté du Cameroun sur la presqu’île reste à établir.
Historique ! Maurice Kamto, ministre délégué à la Justice et chef de la délégation camerounaise à Bakassi lundi 14 août lors de la cérémonie de fin de retrait des forces armées nigérianes de la presqu’île a eu le mot juste pour qualifier l’acte que l’Etat nigérian a enfin consenti à poser. A Aqua, dans la péninsule qui fait partie du différend frontalier entre le Cameroun et son géant voisin, le drapeau vert-rouge-jaune frappé d’une étoile dorée a flotté à la mi-journée, en lieux et places des deux drapeaux nigérians (celui de l’Etat fédéral et celui de l’Etat fédéré du Cross river) descendus par les soins des forces d’occupation qui avaient investi cette partie du Cameroun.
Des documents officiels consacrant ce retrait ont été signés. Outre les parties camerounaise et nigériane, le représentant de l’Onu et les témoins de l’Accord de Greentree signé le 12 juin dernier (France, Allemagne, Grande Bretagne, Etats-unis) ont activement pris part à la cérémonie. Ainsi, quatre ans après l’arrêt de la Cour internationale de justice (Cij) de La Haye, le 10 octobre 2002, reconnaissant la souveraineté du Cameroun sur cette zone marécageuse d’environ 1000 km2, les autorités du pays des Aigles ont fini par “ donner à César ce qui appartient à César ”.
L’agréable surprise Le dilatoire entretenu par Abuja pour faire obstacle à la libération de cette partie de terre avait en effet fait douter de la volonté du Nigeria à exécuter l’arrêt de la Cij. Même avec l’Accord de Greentree qui, entre autres dispositions, accordait 60 jours aux forces d’occupation pour libérer les lieux n’a pas donné pleinement confiance aux Camerounais qui ont ainsi vu une partie de leur patrimoine confisquée depuis plus d’une décennie. Surtout que, dans la foulée, les habitants nigérians de la localité, appuyés de quelques activistes aux intentions de sabotage manifestes, ont pris le risque de proclamer l’indépendance de Bakassi la semaine dernière. On a alors eu l’impression que le feu couvait et n’attendait que la moindre étincelle pour détonner dans cette zone très riche en pétrole.
Jusqu’à la fin de la semaine dernière, l’opinion était très peu fixée sur l’effectivité de la cérémonie. Elle a eu comme un effet de surprise dans la presse nationale dont seuls quelques rares médias ont été sollicités pour la couverture. Pourtant, lors de la rétrocession des villages dans la partie septentrionale du pays, de nombreux journalistes avaient été invités et pris en charge par les autorités camerounaises. Tout cela a rendu l’événement exceptionnel. Surtout que l’affaire Bakassi est l’un des rarissimes différends frontaliers entre pays voisins à se solder ainsi dans la paix. Il est vrai, les militaires des deux pays avaient ouvert le feu au milieu des années 90, mais l’intelligence des dirigeants – pour une des rares fois – les a plutôt conduits devant la justice, consacrant ainsi la primauté du droit sur la force. Historique donc, l’acte l’est !
Encore cinq ans pour piller ! En pareilles circonstances, les médias à capitaux publics qui ont eu la confidence du gouvernement in extremis auraient dû, à défaut de retransmettre l’événement en direct, la diffuser dans son intégralité à plusieurs reprises, comme ce fut le cas pour le récent congrès du Rdpc dont l’importance n’a point de commune mesure avec ce qui vient de se passer à Bakassi. Qu’à cela ne tienne, les prémisses de la victoire sont là. Et c’est seulement maintenant que les Camerounais jadis spoliés de leurs terres/mers peuvent avoir l’espoir d’en profiter. En effet, ce qui s’est passé lundi n’est qu’un “transfert” administratif et politique. Les forces armées nigérianes ont certes libéré les lieux. Mais des administrateurs ainsi que des éléments de la police nigériane y demeurent. Même si on annonce leur retrait complet dans les années à venir, les populations établies sur le territoire restent essentiellement nigérianes.
Or le problème de fond, celui qui a amené le pays d’Obasanjo à entretenir le dilatoire c’est l’exploitation des ressources dans cette localité très riche en poissons, pétrole, bois, etc. Comme Le Messager le signalait dans son édition de vendredi, les Nigérians semblent organiser un pillage systématique de ces ressources. Les cinq ans qu’ils ont devant eux pour décider de rentrer au Nigeria, de devenir Camerounais ou alors de se considérer comme étranger vivant en territoire camerounais sont suffisants pour piller copieusement la localité. L’Etat nigérian a certes fait le pas officiel, mais on se demande s’il n’est pas nécessaire de prendre des mesures pour limiter le pillage puisque l’enjeu du conflit réside dans leur exploitation. Que va donc faire le Cameroun : organiser le peuplement de Bakassi par les Camerounais, y installer des firmes d’exploitation de minerais et de produits de la pêche, ou alors y nommer simplement un chef de district et se dire: “La localité est à nous” ? Alexandre T. DJIMELI
Bakassi: Le Nigeria s’en va, mais… Les cérémonies de passation de souveraineté sur l’Ile ont eu lieu lundi 14 août. Le drapeau nigérian qui flottait sur Bakassi depuis des lustres a été descendu en ce début de semaine. “Nous cédons le territoire pour laisser la place à la paix, nous cédons les terres pour permettre aux hommes de vivres, nous savons que les vies sont précieuses et irremplaçables ”, a déclaré le procureur général et ministre de la Justice nigérian, chief Bayo Ojo, chef de la délégation nigériane à Bakassi. Ses propos ont été rapportés par le quotidien nigérian This Day. Le journal rapporte que la cérémonie qui a eu lieu dans la ville de Archibong, au nord de l’Ile, a essentiellement consisté à la descente des drapeaux national et militaire nigérians, en même temps que le drapeau camerounais était hissé. La suite a donné lieu à la signature des documents par les ministres Maurice Kamto pour le Cameroun, Bayo Ojo du Nigeria et le chef de la délégation des Nations unies, M. Keira Pendragast, puis à l’échange desdits documents. Deux importantes parcelles de terre de l’Ile, Atabong Ouest et Akwabana resteront sous l’autorité nigériane pendant deux ans encore, le temps pour les occupants de décider s’ils vont rester sur place ou regagner la mère patrie, le Nigeria. Même comme aucune alternative de logement n’a été trouvée ni pour les 5000 résidents de Archibong, ni pour les 100 000 autres habitants de l’île qui pourront choisir de se recaser au Nigeria, le gouverneur Donald Duke de l’Etat de Cross River a affirmé qu’un site a déjà été trouvé, relate This Day. Regrets “ Le Nigeria quitte Bakassi en larmes ”, titrait le journal The Guardian dans son édition d’hier. “ C’était une cérémonie solennelle, avec les Nigérians civils et militaires qui trahissaient leurs émotions. Le gouverneur Donald Duke de l’Etat de Cross River, a gardé ses mains constamment bloquées sur ses joues, pendant que son collègue de l’Etat d’Akwa Ibom Obong Victor Attah est resté le visage fermé. Il n’y avait pas d’échange de plaisanteries durant la cérémonie. Le général Martin Luther Agwai, ministre de la Défense s’est départi de son habituel humeur jovial et gardé un regard dur, en même temps que ses hommes de troupes ”, relève le journal. Pour le quotidien This Day, on n’est pas sorti de l’auberge. Il y a deux semaines, un groupe dit Mouvement d’autodétermination de Bakassi hissait son drapeau sur l’Ile et proclamait l’indépendance. Un membre de ce groupe, qui est aussi président de l’association des élèves et étudiants Bakassi, Emmanuel Essien a déclaré au quotidien que la cérémonie de lundi était juste “ un rituel symbolique sans aucun effet ”, précisant que le groupe considère toujours Bakassi comme une république à part entière. Côté Cameroun, un autre groupe, le Southern Cameroons Peoples Organisation (Scapo) a apporté son soutien aux jeunes de Bakassi qui ont proclamé leur indépendance. This Day révèle que dans une lettre envoyée aux jeunes de Bakassi le chairman de la Scapo Kevin Ngwang Gumme, déclare que “ l’indépendance de la péninsule de Bakassi, c’est aussi l’indépendance de la République d’Ambazonie. En prenant cette décision vous rassurez que le futur de la péninsule de Bakassi est entre vos mains, et non entre les mains des fonctionnaires internationaux de La Haye ou de New York. ” Roland TSAPI Communiqué final sur l’affaire Bakassi Commission de suivi de l’Accord de Greentree Commission mixte Cameroun-Nigeria Formulaire de retrait et de transfert d’autorité En application de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 10 octobre 2002 et En conformité avec l’Accord de Greentree du 12 juin, Il est reconnu par le présent acte que (a) le retrait des forces armées de la République fédérale du Nigeria de la presqu’île de Bakassi et (b) le tranfert d’autorité à la République du Cameroun sur la presqu’île de Bakassi, exception faite pour la zone (annexe (I) et annexe (II), accord de Greentree), ont été achevés ce jour, lundi 14 août 2006. Cette cérémonie est symbolique et représentative des opérations (a) de retrait de la presqu’île de Bakassi et (b) de transfert d’autorité sur la presqu’île de Bakassi, exception faite pour la zone, passant de la République fédérale du Nigeria à la République du Cameroun Ont signé Chief Bayo Ojo Attorney general et ministre de la Justice Chef de la délégation du Nigeria à la commission de suivi Prof. Maurice Kamto Ministre délégué auprès du ministre de la Justice Chef de la délégation du Cameroun à la commission de suivi En présence de Sir Kieran Prendergast Président de la commission de suivi Représentant de la République fédérale d’Allemagne Représentant des Etats-Unis d’Amérique Représentant de la France Représentant de la Grande-Bretagne et de l’Ireland du Nord




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